Article pubié le 27 novembre 2012

Pour le psychanalyste Didier Dumas, la construction mentale de l’être humain n’est pas individuelle, mais transgénérationnelle .Ce qui signifie qu’elle se constitue, à sa base, chez l’enfant de moins de trois ans, par la duplication inconsciente des structures mentales de ses parents. Et, comme celles-ci se sont, elles-mêmes, construites en dupliquant les structures mentales des grands-parents, c’est ce qui explique que les pathologies ancestrales que la psychanalyse transgénérationnelle contemporaine appelle des « fantômes » peuvent se transmettre sur plusieurs générations. Ces structures fantomatiques se transmettent d’une génération à l’autre, et elles parasitent l’une ou l’autre des deux formes archaïques de pensée que sont la pensée en sensations et la pensée en images.

La transmission des fantômes par l’action de l’activité mentale originaire et la duplication inconsciente des structures mentales des parents.

La psychanalyse transgénérationnelle préconise une exploration des structures prés-verbales de l’esprit qui sont celles de l’enfant d’avant trois ans. La psychanalyse explore habituellement cette dimension la plus profonde ou la plus inconsciente des structures mentales par les rêves et leur analyse. Les structures pré-verbales de l’esprit sont essentiellement constituées d’images, et de sensations. C’est ainsi qu’elles réapparaissent dans les rêves et dans d’autres manifestations psychiques comme la transe et le voyage chamanique.

La psyché d’avant 3 ans

Pour le psychanalyste Didier Dumas, la construction mentale de l’être humain n’est pas individuelle, comme l’a postulé Freud, mais transgénérationnelle, ce qui signifie qu’elle se constitue, à sa base, chez l’enfant de moins de trois ans, par la duplication inconsciente des structures mentales de ses parents. Et, comme celles-ci se sont, elles-mêmes, construites en dupliquant les structures mentales des grands-parents, c’est ce qui explique que les pathologies ancestrales que la psychanalyse contemporaine appelle des fantômes peuvent se transmettre sur plusieurs générations.

L’activité mentale originaire

Didier Dumas a aussi constaté que la plupart des enfants psychotiques et autistes présentaient toutes sortes de dons semblables à ceux des grands mystiques ou à certains cas étudiés en parapsychologie. Comme, par exemple, la voyance, la prémonition, la faculté de s’auto-anesthésier ou de sortir de son corps, ainsi que celle de pouvoir jouer avec des insectes dangereux, comme les guêpes ou les abeilles, sans jamais se faire piquer.

Freud et Jung

Didier Dumas critique la théorie freudienne en constatant qu’elle a à la fois relégué l’activité mentale originaire sous « la barrière du refoulement originaire », en en négligeant l’étude, alors qu’avant l’acquisition de la parole cette activité mentale est la seule à l’œuvre dans la psyché de l’enfant et aussi qu’elle attribue une place quasi inexistante à la mort dans la construction du psychisme humain.

Dans sa théorie de l’œdipe, Freud présente un modèle de la construction sexuelle de l’enfant dans lequel la mort n’est même pas mentionnée. Alors que, dans l’esprit humain, le sexe et la mort sont aussi indissociables que «le sont le temps et l’espace dans la théorie d’Einstein».

Au niveau de la santé mentale de l’enfant, il est donc inadmissible de penser que celui-ci puisse intégrer la sexualité sans avoir aussi à intégrer la mort. De même en ce qui concerne l’activité mentale originaire : il n’est pas possible de la reléguer sans autre formule sous la « barrière du refoulement originel », alors que cette activité mentale est la seule existante du stade fœtal jusqu’à la troisième année, et que c’est grâce à elle que l’enfant duplique inconsciemment le système de représentation de ses parents et se met à parler leur langue sans avoir besoin de l’apprendre.

Freud a considéré le conscient comme une instance naturelle ou innée, alors que le conscient ne commence à se constituer qu'avec l’acquisition du « je » et la formulation des phrases, autour de la troisième année. En deçà, durant toute la période précédente, le bébé vit dans une psyché communautaire, celle de la famille où on l'accueille et dans laquelle l'activité mentale originaire lui permet d'être tour à tour « moi-maman », « moi-papa » ou « moi-ma grande sœur ». C'est-à-dire, tout à la fois, lui-même et ceux qui le prennent en charge.

Telle est la première caractéristique de cette activité mentale inconsciente de nature télépathique ou empathique qu’est l'activité mentale originaire, permettant à l’enfant immature d’être, en même temps, lui-même et l’autre, elle lui permet de dupliquer les structures mentales de ses parents. C’est, du même coup, l’activité mentale qui explique que le nourrisson puisse considérer le sein maternel comme faisant partie de son propre corps, que les schizophrènes puissent confondre le leur avec celui d'un autre, ou que les paranoïaques attribuent leurs propres pensées à une autre personne.

Dans la construction psychique de l’enfant, l’activité mentale originaire est celle sur laquelle repose ce que la psychanalyse a appelé l’identification. Or, contrairement à ce que peut laisser entendre la formule freudienne, cette activé mentale ne disparaît pas, en grandissant, sous la « barrière du refoulement originel »,car après avoir permis à l’enfant de dupliquer les structures mentales de ses parents, elle continue à œuvrer en sourdine toute la vie.

Comme l’écrit Didier Dumas dans son ouvrage « Et l’enfant créa le père », à l’âge œdipien, l’activité mentale originaire joue un rôle important dans la constitution des fantasmes sexuels, pour ensuite, à la période de latence et à l’adolescence, en jouer un tout aussi important, dans la constitution des formes sociales, culturelles et collectives de l’esprit. Or si l’activité mentale originaire continue à effectuer tout ceci inconsciemment, elle se manifeste, par contre, d’une façon beaucoup plus apparente, dans un certain nombre de phénomènes psychiques constitués d’images, et de sensations comme les rêves, la médiumnité, la transmission de pensée, la voyance, l’hypnose, la transe ou le voyage chamanique.

Dans ce sens, les pratiques chamaniques traditionnelles s’associent à la psychanalyse dans la mesure où la « transe » et le « voyage chamanique » sont tout d’abord des plongées dans ces strates de l’esprit qu’est l’univers des sensations et des images mentales. L’étude de l’activité mentale originaire implique donc de se donner un modèle de l’appareil psychique qui tienne compte de ce qui les caractérise, c’est-à-dire de la place inhabituelle et néanmoins centrale qu’y occupent, non pas les mots, car l’esprit s’exprime à travers un système de représentations constitué non seulement de mots, mais aussi d’images et de sensations. Ce système est, de surcroît, la seule chose que nous en percevons, car nous n’avons, en effet, pas plus accès aux mécanismes d'où surgissent les pensées qu’à ceux dont dépend la vie de nos organes. Par exemple nous ne voyons du corps que sa surface, sa peau et de même, nous ne percevons de l’esprit que son enveloppe extérieure, sa surface d’expression, ce qui permet d’assimiler le système de représentations à une « peau mentale » constituée, non pas de cellules, mais de l’ensemble des représentations à travers lesquelles il s’exprime.

Dans la vie, toute séparation entre deux territoires hétérogènes est constituée de trois zones, trois espaces ou trois feuillets, l'un qui marque la fin du premier territoire, l'autre l'entrée du second, et entre les deux, un no man's land ou un sas. Si, par exemple, un microbe essaie de traverser la surface de notre peau, il lui faut franchir successivement trois couches : l'épiderme, le derme et l'endoderme et si nous traversons une frontière, nous passons d'abord la douane du pays d’où nous sortons pour traverser ensuite un espace neutre, et passer celle du pays où nous entrons.Si la peau a, sous cet angle, la même structure que les frontières des pays, c’est parce que toute séparation implique trois feuillets ou trois espaces, l'un prenant en charge les échanges avec l'extérieur, l'autre assumant les communications vers l'intérieur, et entre les deux, un espace neutre de passage ou d'échanges.Bien que l'esprit n’ait ni poids ni matière, ses frontières n'échappent pas à cette règle. Elles sont, comme celles du corps et des pays, constituées de trois feuillets de représentations : les sensations qui gèrent le rapport à l'interne, les mots dont dépendent nos relations externes, et les images qui établissent des liens entre ces deux registres.

Les sensations, les mots et les images.

Les sensations forment la couche la plus ancienne de ces trois enveloppes mentales. Elles commencent à se structurer au stade fœtal pour devenir, chez le bébé, un mode de communication vital qui, à l’âge adulte, se perpétue dans la sexualité. C’est la couche la plus interne de notre appareil à sentir, à penser et à communiquer, celle qui signale les intrusions extérieures, ou qui, au contraire, les sollicite, comme dans l’érotisme.

La seconde grande catégorie de représentations à l'œuvre dans un cerveau humain, les images, commence à se structurer un peu plus tardivement, à la naissance, avec l’ouverture des yeux. Dans l’appareil psychique, les images s'intercalent entre les sensations et les mots, car leur principale fonction est d’établir des liens entre l'univers des sensations et celui de la parole. C’est, par exemple, ce qu’elles font dans les fantasmes sexuels et c’est ce qui explique que, dans l’érotisme, les images sont aussi prégnantes que les sensations.

Les mots forment, eux, notre enveloppe mentale la plus extérieure. C’est celle qui organise nos rapports aux autres et dans laquelle se constitue la dimension sociale et collective de notre existence. Mais c’est aussi celle qui se construit le plus tardivement,puisqu’elle ne commence à le faire que vers trois ans, avec l’acquisition de « je » et la formulation des phrases.Ceci a alors, pour conséquence, une autre acquisition majeure : la faculté de mentir. Cette acquisition est en effet capitale, dans le développement de l’enfant, car c’est le pivot autour duquel se constitue ce que Freud a appelé le conscient. Tant que l’enfant ne peut pas faire de phrases, il lui est, en effet, impossible d’imaginer que les images qu’il a dans la tête puissent être différentes de celles de sa mère. Ayant été, jusqu’alors, relié à ses parents sur le mode empathique ou télépathique de l’activité mentale originaire, rien ne lui permettait de penser qu’il puisse ne pas en être de même pour eux. C’est donc la faculté de mentir qui marque, dans la construction de l’enfant, l’émergence d’une psyché originaire ou transparente, qui dès lors, ne réapparaîtra plus qu’exceptionnellement dans la voyance, la télépathie et autres phénomènes laissés pour compte dans nos savoirs sur l’esprit, car inexplicables dans les théories auxquelles ils se réfèrent.

Les mères reconnaissent spontanément l’existence de cette psyché transparente qui est celle du petit enfant quand, par exemple, le soupçonnant de mensonge, elles lui demandent de répéter ce qu’il a dit, « en regardant droit dans les yeux ». Elles jouent ainsi du fait qu’étant naturellement télépathe, l’enfant croit que ses parents peuvent, eux aussi, lire en lui, à livre ouvert. Les psychanalystes ont, eux, beaucoup plus de mal à reconnaître la façon dont la télépathie infantile ressurgit dans les cures.

L’activité mentale originaire étant une activité inconsciente, elle se manifeste par exemple,lorsque certains « analysants » s’approprient, en rêves, les faits et gestes de leur analyste ou lorsque d’autres « analysants » achètent les livres qu’ils sont en train de lire .Pour l' « analysant », il est impossible de prendre conscience de ce phénomène si leur psychanalyste ne leur en parle pas, or la plupart des psychanalystes sont persuadés qu’une des conditions de la cure est que leurs clients ignorent tout d’eux. Et comme, de plus, la télépathie n’a quasiment aucune place dans les théories auxquelles se réfèrent la plupart des analystes, cette dimension de l’esprit qu’est la psyché d’avant trois ans est, la plupart du temps, ce que les cures psychanalytiques n’arrivent pas à atteindre.C’est, en effet, très souvent, ce dont se plaignent ceux qui, ayant déjà fait une, deux ou trois psychanalyses, continuent à courir les thérapeutes.

Chamanisme et psychanalyse transgénérationnelle

Selon Didier Dumas, une analyse transgnérationnelle associée à des pratiques chamaniques peut souvent aider à terminer une psychanalyse, car celle-ci ne dispose que du rêve et de son analyse pour atteindre ces strates de l’esprit qui, antérieures à la constitution de la conscience langagière, sont le domaine des sensations et des images, alors la transe et le voyage chamanique permettent d’y plonger plus directement.

Le chamanisme dispose d’un savoir plus ancien et plus vaste que celui de la psychanalyse. Il offre ainsi la possibilité de travailler sur des registres mentaux que celle-ci a eu tendance à négliger. Comme, par exemple, la communication d’inconscient à inconscient, la dimension collective, culturelle et sociale des structures mentales, le rapport à la mort et les questions sur la survie de l’esprit, que tout individu s’est posé, à l’âge œdipien, mais pour lesquelles il n’a généralement obtenu aucune réponse.

L’hypnose illustre aussi la première caractéristique de l’activité mentale originaire. Puisque la personne hypnotisée est alors, mentalement tout à la fois elle-même et celle qui l’hypnotise. Freud, explique-t-on généralement, a rejeté l’hypnose par peur d’influencer ses clients. De ce fait, il a aussi définitivement rejeté toute question concernant l’activité mentale qui y est à l’œuvre,mais aussi parce que celle-ci est inexplicable dans le cadre de la théorie qu’il était en train d’élaborer.L’activité mentale originaire se manifeste aussi dans le transfert analytique, dans l’univers onirique des rêves, c’est elle qui permet au patient en s’identifiant à son analyste d’être, en même temps, lui-même et l’analyste. L’activité mentale originaire apparaît aussi d’une façon encore plus spectaculaire dans les états modifiés de la conscience dus à un coma profond. Tout cela montre que l’activité mentale originaire transcende toutes les catégories de l’espace et du temps et que les théories freudiennes, kleiniennes ou lacaniennes n’abordent pas cette dimension de notre fonctionnement psychique.

Bibliographie de Didier Dumas