L'inceste, les violences sexuelles et les moyens d’en guérir

Bruno Clavier

Le 16 décembre 2021, Bruno Clavier a inauguré la première visioconférence/débat organisée par Geneasens.

Pour rappel, Bruno Clavier est psychologue clinicien, psychanalyste et formateur en transgénérationnel au sein du Jardin d’idées. Il est l’auteur des « Fantômes familiaux » (2013, Payot), qui s’est imposé immédiatement comme une référence, des « Fantômes de l’analyste » (2017, Payot) et de « Ces enfants qui veulent guérir leurs parents » (2019, Payot).

Lors de cette soirée passionnante, Bruno Clavier a abordé plusieurs sujets développés dans son livre « L’inceste ne fait pas de bruit » dont voici quelques extraits: 

  • «  Curieuse Observation : à partir du moment où j'ai retrouvé la mémoire, mes patients m'ont révélé tour à tour qu'ils avaient été abusés, violés. Comme s'il se taisaient, ou même gelaient leurs souvenirs jusque-là solidaires de ma prison intérieure. Comme s'ils attendaient inconsciemment que j'en sois moi-même libéré avant de se livrer eux-mêmes. Cette responsabilité écrasante du thérapeute donne à réfléchir. » Page 13 
  •  « Je défends encore la psychanalyse pour tout ce qu'elle a pu m'apporter ainsi qu'à d'autres, mais je ne peux plus cautionner une position passée et encore malheureusement si souvent présente, dont l'absence de clarté est indéfendable aujourd'hui. En mettant la prépondérance théorique sur la notion du fantasme pendant près d'un siècle, on a commis des dégâts parfois irréparables. » Page 14
  •  « Un enfant abusé apprend des comportements sexuels qu'il aura tendance à reproduire ensuite. Malheureusement, enfant, adolescent ou adulte, il peut rechercher inconsciemment la répétition des abus. Une sorte de syndrome de Stockholm avec un agresseur intériorisé. » Page 15
  •  « Pour moi, l'amnésie post-traumatique à la suite des violences sexuelles et encore plus quand elle concerne une période précoce de l'enfance, échappe à la notion du temps. J'ai retrouvé la mémoire presque 50 ans après ce que j'ai subi. Mon cas est celui de nombre de patients implique que la législation opte définitivement pour l'imprescriptibilité des crimes sexuels. » Page 31
  •  « Une violence sexuelle est presque toujours la répétition d'une autre ayant eu lieu,  avant, dans la propre vie de la personne ou dans celle d'un membre de sa famille. » Page 49
  • « Cependant, j'ai toujours trouvé que le moyen le plus puissant de retour de la mémoire traumatique était le cauchemar(…) Le cauchemar, celui qui est au plus près du Trauma a un caractère de réalité qu'aucune autre méthode ne peut approcher. Car l'événement y est totalement et paradoxalement réel. De plus, l'inconscient, sait qu'il peut produire ce cauchemar sans trop de danger. Il y a en nous un thérapeute incroyable qui sait spontanément que le trauma doit être revécu en rêve, mais qui, en même temps ne nous emmène pas dans un endroit où nous pourrions être complètement menacés. Il s'agit d'une voie naturelle. »  Page 53.
  • « Au moment où l'enfant est abusé par un adulte, il perçoit l'âge mental de ce dernier qui, au moment de son agression est celui d'un enfant. Il s'agit souvent de l'âge auquel l'abuseur a lui-même été violenté. L'enfant perçoit avec une forte intensité l'enfant dans l’ adulte qui l'agresse. » Page 64
  • « L'amnésie post-traumatique, si elle représente d'un côté un mécanisme terriblement efficace pour la survie de l'individu, a des conséquences dont nous n'avons pas encore mesuré toute la gravité. Elle a effacé la mémoire du crime, du criminel et de la scène de crime. C'est donc un crime sans crime,  sans coupable, sans victime. Et pourtant, tout l'être violenté porte sans cesse, minute après minute, heure après heure, jour après jour, année après année de sa vie, le fardeau de cet événement qui semble n'avoir pas existé. » Page 66
  • « On aura compris que le besoin de justice est tel chez les personnes abusées que ces dernières ont besoin de « déplacer », de projeter leur abuseur sur le thérapeute et sur un certain nombre de personnes de leur entourage afin d'expulser leur colère, leur haine. » Page 74.
  • « Les personnes abusées adultes par des thérapeutes répètent des actes commis par des proches dans l'enfance qui étaient en position de prodiguer des soins, des personnes de la famille-ou d’autres extérieures à celle-ci - qui ont perpétré leurs abus sous le prétexte de guérir, de « faire du bien ». » Page 80
  • « J’ai mis plus de 10 ans à comprendre ce phénomène étrange qui provoquait la dépression de fille, voire de petite fille à la mort de leur père ou grand-père. Plusieurs années après, leur deuil n'était absolument pas possible. Ce n'était pas un travail de deuil normal, commun. Jusqu'au moment où ces multiples cas m’ont montré que ces femmes avaient été abusées par celui dont elle ne pouvait pas faire le deuil . La mort de leur bourreau - invisibles en tant que tel, car elles étaient amnésiques de ce qu'il leur avait été fait précocement- était une catastrophe qui n'était pas celle que l'on croyait. Ce n'était pas d'amour qu'elles se languissaient. Emportait-il dans sa tombe la possibilité à la victime de comprendre ce qui leur était arrivé, de le régler du vivant du bourreau, d'obtenir enfin justice se sentaient-elles coupables ayant sûrement eu des envies inconscientes de le voir disparaître ? » Page 96.
  • « Il ne m'est pas évident de relater cela dans ce livre. J'avoue le faire à dessin. Je pense à mes descendants, aux autres. En donnant une clarté, même cruelle, sur ce passé monstrueux, le futur de mes enfants, de leurs enfants et des générations suivantes n'en sera que plus exempt de ces pratiques d'une autre époque. » Page 109.
  • « Pour revenir à ce qui m'était arrivé si précocement, ces agressions commises pendant le sommeil représentent avec l'amnésie un grand problème de santé mentale dont il faut pouvoir, d'une part, mesurer l'importance et d'autre part, comprendre les incidences afin d'aider au mieux les personnes qui les ont subies. » Page 114
  • « J'ai mis du temps à réaliser que les violences sexuelles provoquent des angoisses de mort fondamentales. On peut le comprendre en cas de violences physiques. Ils sont tout aussi fort en cas d'abus sexuels, et même, si l'acte est commis sans violence. Ainsi, un enfant attouché pense qu'il va mourir dès les premiers instants de l'agression sexuelle. Au-delà de cette angoisse de mort, c'est une partie ou la totalité de la personne qui est en quelque sorte… morte. » Page 117
  • « Agressivité et sexualité doivent cependant être soumises aux lois humaines , les 3 lois fondamentales : ne pas manger l'autre, ne pas le blesser ou le tuer et obéir aux lois de l’interdit de l'inceste dans la société ou l'on vit. Ces lois impliquent toujours un renoncement, une perte. Le noyau familial joue un rôle déterminant dans l'acceptation par l'enfant d'abandonner la toute-puissance de ses instincts dans l'ici-et-maintenant. » Page 126
  • « C'est au sein des familles que se construisent les scénarios qui vont conduire à ce qu'un certain nombre de personnes agiront par la suite en tant que prédateurs sexuels parfois dès leur plus jeune âge, commettent leur perversion, autant à l'intérieur qu’ à l'extérieur de cette famille. » Page 126
  • «  Dans les transmissions familiales, il apparaît que le dénominateur commun des violences sexuelles est l'angoisse de mort. Elle est partagée tout autant par les bourreaux que par les victimes. Si elle se révèle évidente chez les victimes, il n'en est pas de même pour les bourreaux car justement. Ils l'extériorisent dans leurs actes, ce qui les rend invisibles pour eux-mêmes et les autres. » Page 127
  • «  En effet, c'est dans cette toute petite enfance que la perversion future d'un individu prend racine, en particulier lors de la période se situant entre 2 ans et demi et environ 4 ans, -appelée en psychanalyse la position schizo-paranoïde- Lorsque l'enfant est assailli de pulsions destructrices et agressives qui appartiennent à notre fondement d’ humain, en tant que prédateur et tueur programmé. » Page 128
  • «  la violence de l'inceste peut atteindre les victimes dans leur capacité à engendrer, dans leurs possibilités à construire une famille. Elle empêche d'être mère, père, mais elle atteint également la descendance à un point qu’on n’imagine même pas. » Page 132
  • « …  Les violences sexuelles aux générations antérieures sont à l'origine de nombreux symptômes chez les enfants.(…) J'ai déjà décrit dans mes ouvrages précédents de nombreux cas d'enfants dont les symptômes étaient en relation avec les traumatismes sexuels subis par leurs parents, leurs grands-parents ou d'autres membres de la famille. » Page 135
  • «  Dans ces multiples stratégies, ce sont toujours les victimes qui sont sacrifiées à cet intérêt général de conservation du système incestueux familial. En dénonçant la victime s'expose à perdre sa famille, donc une partie d'elle-même. » Page 142
  • « « Le linge sale se lave en famille » ne peut plus être la norme. Les lois générales de notre société doivent prévaloir sans exception sur les lois familiales particulières. » Page 142
  • « Les personnes abusées violées doivent être traitées comme des grands brûlés ou des graves accidentés de la route. La reconstruction de leur être exige non seulement du temps, mais diverses thérapies. Difficile de penser que chacune de ces thérapies puisse prétendre seule, à réparer les multiples conséquences des violences subies. » Page 143
  • «  Comme j'ai essayé de le montrer avec mon propre cas, les violences sexuelles ont un impact sur différents aspects de la personne. : physique ,psychique, émotionnel, caractériel, relationnel, sociaux.» Page146
  • «  De multiples aspects de la personne ayant été impactés, la thérapie par la parole ne suffit pas. On peut savoir ce qui nous est arrivé en méconnaissant ce que cela a fait en nous. » Page 147
  • «  Dans le processus de guérison en thérapie, le rêve passe en général par 3 étapes : le rêve du traumatisme initial, le rêve de traitement de ce traumatisme et enfin, le rêve « de guérison » qui témoigne que l'on a guéri en grande partie de l'événement. » Page 150
  • «  les violences sexuelles comme les autres violences, déclenchent 4 émotions fondamentales enchaînées l'une à l'autre de façon cyclique : la peur, la colère, la haine et la tristesse. » page 154.
  • «  Il faut que l'on fasse savoir ce qui se fait et ne se fait pas dans le cercle familial. Dans ce domaine, il existe une frontière à ne jamais franchir ;une fois qu'elle est franchie, un autre monde commence, celui de la peur, de la haine et de la destruction. » Page162.
  • «  A l'instar des commissions de vérité et de réconciliation, nous devons pouvoir tourner la page désastreuse des violences sexuelles pour aller vers encore plus d'humanité. Notre société tente de guérir cette maladie qui consiste à ce qu'un être humain domine, violente, en asservisse un autre. » page 165
  • « « Avoir relu mon histoire écrite, accompagnée des explications et de la théorie me permet de la digérer, un peu plus de me l'approprier et enfin, de mesurer combien j'ai été lésée, transformée, abîmée dans mon accès à la sexualité. Je commence à percevoir un peu ce que devrait être une relation normale à un homme normal. Merci. » Page 167 

 

Voici quelques extraits de cette conférence: 

 

Vous pouvez revoir l'intégralité de la conférence.

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