Un témoignage de Marie-Adélaïde Debray publié le 23 juin 2021

Mon voyage au pays des ancêtres a commencé il y a une dizaine d’années. Au cours de cette aventure, qui alterne promenades de santé, randonnées pas toujours balisées, véritable alpinisme et authentiques pèlerinages, j’ai progressé tantôt seule, tantôt accompagnée d’un guide (thérapeute), et parfois en groupe, voire en cordée (ateliers, stages, formations). Quant à mon équipement de marche, s’il était basique au départ, il s’est enrichi et diversifié au fur et à mesure du parcours. C’est ainsi que je chemine à présent avec l’aide d’outils et méthodes aussi variés que l’art-thérapie, la création de rituels, les voyages chamaniques, les recherches généalogiques et historiques, le génosociogramme, le photolangage, la psychophanie ou encore les configurations. L’application Commemoria fait désormais également partie de ces objets dont je ne voudrais pas alléger mon sac à dos ! C’est pourquoi j’ai le plaisir de partager ici avec vous des réflexions sur mon expérience personnelle de la plateforme. Voici, en quelques mots, ce que cette pratique de la « ligne du temps biographique multimédia » m’apporte comme bénéfices dans mon propre processus thérapeutique… et tout simplement aussi, comme apprentissages et comme plaisir.

L’utilisation de Commemoria me permet d’ordonner des informations, d’évoquer des souvenirs, de faire émerger des émotions, d’expliquer la trajectoire d’un individu, d’éclairer celle d’un groupe et d’élucider des éléments restés obscurs. Pour illustrer cela, je vous propose des exemples puisés dans quelques-unes de mes lignes du temps :

Ordonner des informations

2021 est l’année du bicentenaire de la naissance de mon quadrisaïeul musicien, Godefroid Camauër. La pandémie a quelque peu compromis le projet d’organiser divers événements commémoratifs à cette occasion. Mais en attendant, j’ai eu du travail : on venait de me confier un fonds d’archives concernant Godefroid. Lorsque j’ai entamé la ligne du temps, mon besoin était donc de ranger et de mettre de l’ordre car ces archives représentaient une masse impressionnante d’informations. À cela s’ajoutait ma propension naturelle à faire des recherches et des trouvailles sur Internet et ailleurs. Il y avait donc de quoi me sentir noyée. Le lancement de la ligne du temps Commemoria m’a alors apaisée. En plus de clarifier certaines choses, l’application m’a permis de synthétiser des informations provenant de différentes sources et jamais croisées entre elles. Je n’imaginais pas l’ampleur que cette ligne du temps allait prendre ! Mais à aucun moment, je n’ai eu l’impression de réaliser un grand travail, au contraire, c’était un processus extrêmement agréable et ludique… peut-être libérateur ?

Pour m’aider à y voir plus clair, j’ai dessiné un génogramme que j’ai inséré tout au long de sa ligne du temps en indiquant en couleur la case ou la partie du génogramme concernée par l’événement en question. J’en profite pour préciser ceci, qui vaut pour mes différentes lignes du temps : quand je n’avais à disposition ni photo ni document d’archives pour illustrer un événement, j’ai eu recours à des images qui pouvaient correspondre le mieux possible à ma représentation subjective de l’événement. C’est ainsi que vous verrez un portrait d’Henri Vieuxtemps enfant et une gravure du jeune Félix Mendelssohn pour illustrer les débuts musicaux du petit Godefroid ou encore une photo du cénotaphe non officiel de Mozart à Vienne, qui m’a servi à montrer une colonne brisée pour symboliser le décès de son frère Léonard à l’âge de 18 ans. Le recours à ces images m’a beaucoup aidée à injecter des émotions et à insuffler de la vie dans des événements anciens et parfois sans visage.

Évoquer des souvenirs

Quand j’ai commencé la ligne du temps sur mon arrière-grand-père Félix, j’avais l’intention de réaliser une rétrospective de sa carrière militaire, à laquelle je ne m’étais jamais intéressée en détails. Mais rapidement, je me suis mise à insérer les événements de sa vie privée. C’est alors que, petit à petit, sont revenus à mon esprit des anecdotes, de petits épisodes que m’avait racontés ma grand-mère, des événements de sa petite enfance et de sa jeunesse, puis quelques-uns racontés par ma mère. Et tout naturellement, je les ai notés, et c’était comme si je déroulais une bobine de fil : ça semblait couler de source. Je n’avais jamais pensé mettre par écrit ces micro-récits, tant ils étaient bien gravés dans ma mémoire (et tellement j’étais occupée à chercher à connaître le passé de ceux qui ne m’avaient pas transmis ainsi leur histoire). Mais une fois la ligne du temps terminée, je me suis dit que cela avait été une excellente occasion de le faire. Je peux donc vraiment dire que Commemoria m’aura permis d’ « é-voquer », d’appeler au dehors ces souvenirs qui étaient biens rangés à l’intérieur. De cette manière, je ne risque pas de les emporter dans la tombe sans les avoir transmis… au cas où, un jour, ils intéresseraient quelqu’un.

Faire émerger des émotions

En plus des souvenirs, ce sont aussi des émotions, parfois surprenantes, qui ont émergé durant ce travail. Par exemple, afin de replacer dans leur contexte les engagements de Félix durant l’après-guerre et la période de la question royale, j’ai inséré dans la ligne du temps une vidéo montrant la prestation de serment du Roi Baudouin, en 1950. Et là, surprise : en visionnant cette séquence, je fonds en larmes en entendant fuser dans l’assemblée le cri « Vive la République ! ». Je m’étonne moi-même de cette réaction (très inhabituelle pour moi), et je comprends immédiatement qu’il s’agit là d’une émotion qui ne m’appartient pas. À d’autres moments, j’ai ressenti des émotions plus reliées à moi-même, mais néanmoins inattendues, comme lorsque j’ai trouvé une photo de Félix occupé à prononcer un discours pour l’ouvertures des célébrations du centenaire de l’École Militaire. J’ai été soudainement émue de voir le visage si expressif et souriant de mon arrière-grand-père, et j’ai imaginé la scène comme dans un film… comme si j’y étais…

J’ai pu aussi ressentir des émotions plus fugaces : par exemple, quand j’ai constaté que le Stabat Mater composé par Godefroid avait été joué à la Collégiale de Huy peu de temps après la mort de sa mère. La juxtaposition des deux événements sur la ligne du temps, ainsi que l’illustration que j’avais choisie, m’ont paru étrangement signifiantes et émouvantes.

Expliquer la trajectoire d’un individu

J’utilise ici le verbe « expliquer » au sens étymologique de « dé-plier », déployer, dérouler. C’est exactement ce mouvement que j’ai observé pendant que je créais la ligne du temps sur mon arrière-grand-mère Fernande, qui a donné naissance à 15 enfants, a vu naître 51 petits-enfants et 30 arrière-petits-enfants (de son vivant). Cette ligne du temps n’était pas destinée au départ à un quelconque partage, mais avait pour fonction de m’aider dans ma thérapie transgénérationnelle. Car j’étais confrontée à une figure « controversée » de mon arbre généalogique, une aïeule qui me mettait mal à l’aise et dont je ne parvenais pas à cerner la personnalité. Dans ce contexte, Commemoria est venu compléter le travail basé sur d’autres méthodes (génosociogramme, art-thérapie, psychophanie). Et cela s’est passé comme si je déployais une chronologie en accordéon insérée à la fin d’un vieux livre : les éléments factuels de la vie de Fernande se déroulaient littéralement devant mes yeux (les naissances, les mariages, les décès).

Cela m’a permis de prendre conscience, entre autres, des deuils qu’elle avait connus. Par exemple, si je savais qu’elle avait perdu des jumeaux bébés et une fille à l’âge de 18 ans, je n’avais, par contre, pas réalisé qu’elle avait aussi perdu deux autres enfants, adultes car je partais du principe que tous ses autres enfants étaient décédés après elle. En introduisant la date de décès d’un de ses fils, j’ai visualisé tout d’un coup une femme âgée de 88 ans et déjà malade, qui enterrait son fils. Et cela rendait plus vivante une figure qui me semblait « sèche ».

Je pense qu’une telle démarche est particulièrement indiquée pour comprendre la trajectoire de figures controversées de l’histoire familiale comme de la grande Histoire. Cela aide en effet à dépasser la vision parfois stéréotypée que l’on peut avoir de ces personnages et à se distancer d’un émotionnel collectif souvent prégnant. C’est pourquoi j’ai décidé récemment, au retour d’un séminaire durant lequel j’ai participé à un exercice de Gestalt-thérapie, de réaliser une ligne du temps sur le parcours de Léon Degrelle, le fondateur du mouvement rexiste et une figure plus que controversée de notre histoire nationale qui est aussi un cousin éloigné de ma grand-mère paternelle. Je n’ai pas encore eu le temps de terminer cette ligne du temps mais le simple fait de l’entamer m’a procuré un sentiment de soulagement et de sérénité.

De la même manière, la réalisation d’une ligne du temps à propos d’un personnage admiré permet d’aller à la rencontre de cet individu plus authentiquement, et parfois plus intimement. Je l’ai constaté avec Godefroid: le fait d’insérer les événements historiques au milieu de ses événements biographiques, a éclairé pour moi certains aspects de son parcours, par exemple le sens des dédicaces très personnelles de ses différentes œuvres (comme celles dédiées à Guillaume II et à Guillaume III des Pays-Bas) ou encore les moyens de transports qu’il avait pu emprunter pour effectuer certains déplacements (et du coup, la portée du déplacement en question). C’est également en réalisant la ligne du temps de Félix, que m’est apparu ce que j’ai ensuite appelé sa « fibre sociale »: un souci d’attention et de respect pour chacun, quel que soit son statut, et un grand sens de la solidarité. J’ai découvert cet aspect de sa personnalité à travers de petits éléments, soit que je ne connaissais pas encore, soit que je n’avais jamais reliés entre eux. Grâce à la synthèse Commemoria, j’ai observé que cette fibre sociale était présente tout au long de son parcours: j’avais l’impression que quelque chose se déroulerait littéralement, en filigrane. J’y ai vu un signe de fidélité envers ses origines modestes et de reconnaissance à l'égard de ceux qui l'avaient élevé durant sa petite enfance.

Bref, jeter un coup d’œil derrière la façade de la légende permet d’humaniser quelque peu les « monstres » et de rendre un peu de complexité aux « héros » qui ont été d’abord des humains! La création de lignes du temps m’est bien utile dans ces deux cas de figure.

Éclairer la trajectoire d’un groupe

Au fur et à mesure que je créais (ou peut-être devrais-je écrire « que se créait ») la ligne du temps de Godefroid, j’ai ressenti le besoin de comprendre dans quel contexte cet homme avait vécu : contexte politique, religieux, social, culturel. Alors qu’au départ, je pensais retracer uniquement la jeunesse et la carrière musicale de Godefroid, il m’apparaissait de plus en plus clairement que je ne pouvais pas faire l’économie de cette démarche de contextualisation plus globale, qui allait me mener, de fil en aiguille, à réaliser deux petites fresques entrelacées : l’une familiale, et l’autre de l’histoire mouvementée de nos régions. J’en avais besoin car depuis très longtemps, je sentais les contours identitaires de cette branche de ma famille à la fois flous et à la fois étrangement puissants. Et les autres méthodes d’exploration et de thérapie ne m’avaient pas réellement permis de dissiper ce flou ni d’apprivoiser cette force. La mise en perspective chronologique m’a fourni de précieuses lunettes pour remédier à cette espèce de myopie ! Par la même occasion, j’ai pris encore davantage conscience de la complexité et de la fragilité de notre socle identitaire de « Belges ». J’ai aussi épinglé des éléments qui ont peut-être, encore aujourd’hui, plus d’impact qu’on ne pourrait le penser sur notre inconscient collectif (comme la période de l’occupation française de nos régions, le statut particulier de la Principauté de Liège ou encore l’émergence des partis politiques traditionnels).

Élucider des éléments restés obscurs

Enfin, j’aimerais témoigner du fait que, comme toute méthode efficace, l’application Commemoria m’a apporté des réponses précises à quelques questions qui n’avaient pas pu être résolues par les autres méthodes. Par exemple, mon souci de rigueur m’a amenée à insérer dans la ligne du temps de Godefroid, une explication spatio-temporelle sur chacune des entités politiques dans lesquelles ses ancêtres avaient vécu. Alors que je m’en voulais un peu de pousser la minutie jusqu’à m’interroger sur la signification de l’expression « Pays de la Généralité » que j’avais trouvée dans mes recherches, j’ai clairement l’intuition de ne pas lâcher, de quand même insérer cet élément dans ma ligne du temps. J’apprends alors que ces territoires, qui appartenaient aux Provinces-Unies des Pays-Bas, faisaient partie de celles-ci sans en faire réellement partie, ce qui m’apparaît comme une bizarrerie. Mais comme Bergen op Zoom, la ville natale de Godefroid et d’une partie de ses ancêtres, est précisément l’un de ces territoires au statut peu clair, je me dis qu’il faut faire l’effort de le mentionner et de comprendre ce que cela implique. Je flashe alors sur une phrase qui parle du traitement épouvantable réservé aux catholiques: « eurêka » ! C’est la sensation d’avoir enfin trouvé une clé, que je ne cherchais même plus. La thématique des persécutions religieuses, vaguement mais sûrement présente dans l’histoire de cette branche, sans que je puisse en identifier le sens (et encore moins la racine), cette thématique qui durant des mois m’avait fait faire des recherches aussi fastidieuses qu’infructueuses, venait de recevoir un coup de projecteur inespéré et salvateur.

Ordonner, évoquer, faire émerger, expliquer, éclairer, élucider…

Pour conclure, j’aimerais dire que la création de lignes du temps dynamiques, au même titre que les autres outils que j’ai expérimentés, m’offre une aide précieuse, aussi bien pour mobiliser les ressources positives de la transmission intergénérationnelle, que pour identifier et résoudre certaines énigmes d’ordre transgénérationnel. L’application Commemoria est venue compléter ma panoplie et m’offrir un espace d’exploration psychogénéalogique où l’individuel et le collectif se rencontrent et se répondent avec bonheur.

L'auteur

Marie-Adélaïde Debray

Marie-Adélaïde Debray