Un article de Robert Herouet publié le 16 février 2016

Depuis la nuit des temps, les hommes sont fascinés par la mort. Les premières interrogations métaphysiques de l'homme ont sans doute émergé devant la mort. Devant la mort de l'autre et ensuite devant la prise de conscience de sa propre mort prochaine. C’est le phénomène de la mort qui a sans doute provoqué au sein de la jeune conscience humaine l’émergence de propositions et de questions comme : la mort est-elle inévitable ? quel sens donner à la mort ? et quel sens dès lors donner à la vie ? Qu’y a-t-il après la mort ? N’est-ce qu’un passage vers autre chose ?

Alors l’homme invente des mythes pour expliquer ce qu’il ne comprend pas, pour donner un sens à tous ces mystères. L’homme va dès lors, dans toutes les traditions, inventer, raconter, partager des mythes sur la mort. Une manière de donner un sens à cette issue fatale et à l’accepter. Mythes qui impliquent symboles, mythes qui impliquent aussi la création et l’usage de rites et de rituels pour régulièrement réactualiser ces mythes, pour révéler ces symboles. Mythes, symboles et rites ont ainsi baigné notre inconscient, et ont, par leur universalité - [tous les peuples ont baigné dans des mythes et rites de cosmogonie, de fertilité, de mort] - , formé cet inconscient collectif et les archétypes associés, racines du psychisme humain. Et ainsi les rituels provoquent en nous des choses que la raison n’explique pas toujours.

Les rituels symbolisent l’inexplicable, …. ce mystère, qui fonctionne symboliquement, c’est un problème que l’on n’a pas à résoudre.

Fréderique Ildefonse, Philosophe

En quoi les rituels sont-ils donc nécessaires et essentiels ? et pourquoi les rituels apportent-ils souvent paix et sérénité ? C’est ce que cet article essaie d’expliquer.

Définition des rites et rituels

Le termes rite et rituel viennent du latin ritus, lui-même du sanskrit rita qui signifie ordre des choses, ordre prescrit d’une cérémonie. Un rite est ainsi un ensemble de règles, de codes, de formes fixées, organisées et répétitives - formes dites rituelles. Une cérémonie rituelle constitue dès lors un ensemble de gestes, de mouvements, de paroles qui révèlent et expriment une symbolique chargée de sens que chacun s’approprie et fait résonner en soi suivant son propre vécu. Les rituels sont ainsi des symboles mis en gestes, en mouvements et en paroles. Symbolique que chacun peut ressentir aussi comme quelque chose à la fois de très universel et de très personnel ; symbolique que chacun peut ressentir comme quelque chose de fécond, un rituel devant être révélateur.

Les termes rite et rituel sont souvent interchangeables mais en général un rite est formé de plusieurs rituels. Ainsi, au sein d’un rite funéraire, il y a plusieurs rituels qui sont organisés tels le rassemblement au funérarium, les discours au crématorium, la dispersion des cendres, la collation prise en commun, ….

Fonction des rites et rituels

La première fonction d’un rituel est de provoquer une rupture, de nous faire sortir de notre quotidien, de ses habitudes. Ces ruptures impliquent non seulement de se retrouver hors de l’espace et du temps habituel, de se sentir ailleurs, mais aussi de se retrouver hors de l’ordinaire, de faire autre chose, de faire autrement.

Cette sensation d’ailleurs ne doit pas seulement être physique, mais surtout psychique, c’est dans sa tête que l’on doit être ailleurs, que l’on doit voir autre chose, autrement. On se retrouve dès lors hors du quotidien, et progressivement on quitte le monde dit profane, et inconsciemment on rentre dans un autre monde, un monde que d’aucun appelle le monde du sacré. Un rituel sert ainsi avant tout à bâtir un pont entre les mondes du profane et du sacré.

Note : le terme de sacré n’est pas interprété dans cet article comme synonyme de religion, de monde d’une croyance en un ou des dieux. Sa définition est bien plus large et dépend directement de nous. Il y a tout autant immanence que transcendance. Une définition du sacré pourrait être : la rencontre, la conjonction entre une énergie externe et quelque chose de présent au plus profond de nous-mêmes (notre âme?). L’impact est d’ordre psychique. On pourrait aussi ajouter que

Le sacré est le produit d'une conscience qui sait s'émerveiller

Le rituel a également pour fonction de provoquer, pour tout individu,l’émotion, de favoriser l’introspection, de procurer un apaisement, une paix intérieure et de permettre, pour toute communauté, de vivre ensemble la même chose, de favoriser le rapprochement, la communion.

Les rites et rituels sont le plus souvent utilisés, en dehors de fonctions cultuelles spécifiques, pour marquer les grands moments de la vie, individuelle ou sociétale, en sacralisant ces moments si particuliers. Depuis bien longtemps les hommes commémorent les grands moments charnières de la vie comme la naissance, la puberté ou la mort par des rites que les ethnologues ont appelé rites de passage(passage d’un état à un autre).

Ces rites de passages, touchant à la fois l’être humain et la société tout entière, marquent ou célèbrent, dans de nombreuses civilisations ou traditions :

  • la naissance, la puberté, le mariage, la mort,
  • une initiation,
  • la purification,
  • le divorce, un remariage, un déménagement (toute situation de life crisis),

Un rite de passage comprend en général trois phases :

  1. une séparation forcée, une mise à l’écart du groupe où l’on était associé
  2. une mise en condition (en marge) ou une mise à l’épreuve
  3. la réintégration dans un nouveau groupe, la renaissance dans un nouvel état

Cette dernière étape, cette renaissance qui se fera dans la mémoire des participants est une des étapes clés des rites funéraires

La mort, la naissance, et d’autres événements. C’est en ces points surtout que nous avons besoin de rituels. Le rituel est ce qui tisse ces points à l’intérieur de nos vies.

Frédérique Ildefonse, philosophe

Objectifs du rituel funéraire

Assurer un hommage digne au défunt est paradoxalement plus important pour les proches que pour le gisant. Car la vie continue, avec les vivants et non avec les morts. Si la cérémonie est a priori destinée à celui qui gît dans le cercueil, elle est surtout vitale et bénéfique à ceux qui y assistent. Ceux-là, ces vivants, en flagrant délit de vie devant le mort, recherchent un peu de compassion, de chaleur humaine, un beau moment de communion.

Il importe ainsi lors d’un décès, à travers un rituel funéraire :

  • d’assurer un hommage digne au défunt,
  • de marquer par une cérémonie un moment particulier et mémorable,
  • d’instituer l’étape de réintégration du défunt dans la mémoire après l’étape de séparation du décès,
  • de créer un moment de communion, porteur de sens,
  • de toucher au sacré, source d’apaisement, d’harmonie, et de ressourcement.

Ce moment de communion, de complicité, de compassion, d’être ensemble (cum), ce moment d’harmonie (tout est bien) et de ressourcement marquent le début réel et nécessaire du deuil, la source d’une nouvelle énergie indispensable.

Bénéfices du rituel funéraire

Bénéfices pour le défunt

Bien sûr, le défunt ne pourra pas vivre la cérémonie et en retirer lui-même les bénéfices mais il importe de faire les choses en sa faveur, pour éviter ainsi une culpabilisation souvent lourde à porter. Il est essentiel d’assurer pleinement son dernier souhait, de lui offrir une conformité certaine avec les demandes de sa tradition (coutume, pratique, confession). Si la cérémonie est principalement célébrée pour les vivants, c’est aussi le défunt qui compte.

Il importe aussi de lui offrir ce dernier rite de passage, cette renaissance en le replaçant dans la mémoire collective. L’essence d’une cérémonie funéraire est de rendre le défunt présent au passé (aux travers de quelques souvenirs, de certaines photos), au présent (marquer sa présence physique, même cachée), et au futur (imaginer les traces et les empreintes qui resteront).

Il importe donc de rendre le mort, éternel, de le pérenniser dans la mémoire collective. L’utilisation de symbole est ici importante, par le biais de petites phrases (« Comme les fleuves disparaissent dans la mer ainsi l’être défunt s’intègre dans l’esprit universel » Upanishad) ou par le biais d’images.

Bénéfices pour les proches

En plus de se préserver d’un sentiment de culpabilité, la cérémonie permet aussi de se dire correctement « au revoir », d’intégrer la séparation et d’ainsi faire un premier pas sur le difficile chemin du deuil.

Les souvenirs racontés, les petites histoires du passé, les vécus retracés, les petites anecdotes brossées permettent l’ébauche d’un nouveau mythe, d’un nouveau récit porteur de sens, pour les proches. Il ne faut pas vouloir s’attacher au passé. Celui qui se contente de ressasser le passé aura un chemin de deuil difficile. Il importe de faire vivre un nouveau mythe qui pérennisera le souvenir du défunt dans le futur.

Une cérémonie de qualité (au niveau du rituel et du symbolisme) procure un important impact tant au niveau de l’individu que de la communauté. Les proches, se sentant entourés, peuvent minimiser le terrible sentiment d’abandon. L’intense complicité émotionnelle suscite un fort sentiment de compassion, un vrai sentiment de communion, et presque, si l’on ose, de fête. Nous savons que dans beaucoup de sociétés à traditions, les funérailles se terminent en fête. On exprime en sorte ainsi la joie de la renaissance du défunt au sein de la mémoire de la communauté. A noter que fête et sacré sont aussi intimement liés.

Ici aussi l’utilisation de symboles est capitale et permet souvent de montrer que la « vie » continue, parce que rien ne se termine, tout continue, tout est cycle. Ainsi la fleur donne le fruit qui lui-même donne la graine et la graine doit un jour mourir pour faire renaître la fleur.

La plante survit ainsi grâce aux semences. Notre mort et notre renaissance associée jouent ce même rôle de semence pour l’éternité. Tout est cycle.

Bénéfices pour soi

La célébration d’un rituel funéraire représente souvent la première étape fondamentale du deuil. C’est elle qui souvent initie le difficile cheminement du deuil en nous remémorant les beaux moments et permettant ainsi d’oublier les derniers moments souvent difficiles. En nous déconnectant aussi des mouvements et des habitudes de la vie quotidienne, la cérémonie peut faire basculer dans la sphère du sacré (ailleurs, autre chose, autrement). On prend dès lors pleinement conscience du moment présent et l’on s’empreigne des éléments de la cérémonie, les souvenirs, les récits, les symboles aussi révélateurs, toutes empreintes qui resteront gravées dans la mémoire. Et l’on s’empreigne aussi de l’atmosphère ressentie, de l’émotion palpable, de l’harmonie du moment, parfois aussi de la beauté du lieu et du rituel.

C’est ce rituel funéraire, qui semble si déplacé à notre époque dite moderne, qui souvent initie le difficile cheminement du deuil. Et notre vie peut être aussi animée d’une nouvelle symbolique : prendre conscience que l’on doit devenir un fruit et qu’il y a un chemin à parcourir de la fleur au fruit.

Chaque fleur aspire à devenir un fruit dans le but de semer, de mourir et de renaître

Upanishad

Conclusion

La mort, le mort fascinent et terrifient à la fois, ils semblent générer une énergie particulière, qui touche au plus profond de l’âme humaine. Le défunt acquiert ainsi comme une nouvelle dimension, celle de la sacralité. La ritualisation de funérailles provoque une sacralisation des moments et des lieux permettant ainsi à tout un chacun de se relier avec la nouvelle sacralité du défunt.

Les rites et rituels funéraires sont fondamentaux pour l’individu et pour la communauté. Ils révèlent le dernier rite de passage du défunt, lui offrant une renaissance symbolique en le replaçant dans la mémoire collective. Ils procurent quelques précieux moments de communion et d’harmonies (tout est bien) qui seront les premières balises du long et difficile chemin qu’est le deuil. Ils offrent enfin quelques bulles de sacrés (ailleurs, autre chose, autrement) nous plongeant ainsi dans la symbolique et l’universalité de choses.

La théorie ce n'est pas ce qui manque, ce qui manque c'est la pratique. Comment faire son deuil quand le sujet même de la mort reste tabou ? Comment faire son deuil seul, sans être initié, sans être accompagné ? Il n’y a pas un seul remède cathartique et miraculeux. Une formule et la page est tournée. Chacun doit pouvoir choisir sa formule mais apprendre à ritualiser n’est pas simple. On se doit d’être accompagné … par qui ... c'est là que ça se complique, … amis ? famille ? experts ? metteurs en scène ? artistes ?

Le rituel et la symbolique sont là pour envelopper les événements qui sont inaccessibles à une explication définitive. ….. Je pense que priver l’homme de tout développement rituel - insister pour qu’il y ait une rationalisation de toutes pratiques - ne peut que vouer au gouffre individuel et social. …. Il existe un lien entre rituel et repos.

Frédérique Ildefonse, philosophe

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L'auteur

Robert Herouet

Robert Herouet

Passionné par les rites et rituels

Je me suis intéressé aux traditions polythéistes orientales ensuite à l'ethnologie, la sociologie et vers les mythes et les rites que j'ai approfondis au travers mes lectures et voyages (Inde, Tibet, Japon, Pérou, ...). Laïc et athée, je puise chez Jung, Eliade et Caillois mon attachement au sacré. Je prends conscience de l'importance et de la nécessité des rites et rituels en découvrant le travail de Denis Jeffrey. Je donne parfois des conférences au sein du monde laïc.

Commentaires

 
Commentaire anonyme

Publié le 20 mai 2016

Je me permets de faire une intervention sur cet article que je viens de lire. Le rituel apporte du sens à une étape singulière de la vie et de la mort. Comment en effet rendre ce rituel vivant dans une société où la famille se disperse, où le temps n'est plus à s'arrêter ? Il nous faut aujourd'hui peut-être penser de nouveaux rituels face à la mort ? Le don du corps à la science, l'incinération nous proposent de créer de nouvelles alternatives et d'oser créer de nouveaux moments pour prendre le temps de dire au revoir. La mort est quelque fois un soulagement pour la famille - qui a déjà dit au revoir plusieurs fois à la personne censée quitter ce monde terrestre, je pense à tous ces patients grabataires qui sont deux à trois ans dans l'attente de ce moment. Aujourd'hui le souhait de décider du moment de sa mort est plus que présent, comment le rituel s'inscrit dans cette nouvelle perspective ? Et si nous étions invité à re penser ces rituels- et si le défis était de créer de nouvelles façon d'être avec la mort et la vie par définition ? Pouvons-nous sortir de ces schémas si chers à nos croyances, oserons nous sortir de ces schémas pour créer des rituels plus en lien aux besoins de nos jours ? Je me pose ces questions, peut-être sont-elles illusoires ?