Témoignage pubié le 05 mai 2021

Moi à ton âge, j'en avais plein, des blondes, des brunes, même des rousses!

Voilà comment mon père m'a transmis ses exploits alors que je lui confiai pour une rare fois, mes difficultés à rencontrer une fille. A l'époque, je rasai les murs, en proie à une période de désert affectif et à une crise de confiance aussi dure qu'à ma sortie de puberté... Il était un tombeur, j'étais un looser! J'avais 25 ans, mes espoirs se transformaient en désillusions à l'âge où l'on a le projet de fonder un famille ou de casser la baraque tant la mort nous semble lointaine et la vie nous sourit! J'avais beau m'imaginer lui succéder à la tête de son entreprise, quelque chose m’empêchait de me sentir heureux et rasséréné. Je sentais, par ailleurs, que cette transmission était un cadeau empoisonné, une sorte d'adoubement liberticide.

Tu récupères ma boite, mais tu restes dépendant de nous.

Et puis surtout, cette transmission n'en avait que le nom! En vérité, il ne communiquait rien. Comme pour tous les autodidactes, les choses sont empiriques, il n'y a qu'une et une seule façon de faire, sans possibilité de remettre en question ni l'organisation, ni la façon de penser... c'est comme ça et pas autrement!

Tout petit déjà, avant l'âge œdipien et bien après, mon père me paraissait tel une surhomme, intouchable, inatteignable; ma mère avait beau le maltraiter avec ses reproches incessants et violents, comme nous y étions tous confrontés, cela n'était pas discriminant. Il savait plein de choses, réussissait dans la vie à défaut de réussir sa vie. Entouré d'amis, plus précisément de relations, affable, souriant, apparemment à l'aise. Tous les ans des super vacances, des jouets, une vie confortable... Bref, un super papa! Il y avait bien son manque de présence affective, voire de présence tout court et ses absences aux événements qui ponctuent les étapes de l'enfance qui clochait mais on ne s'en rend pas nécessairement compte avant l'adolescence. Et puis sa femme, ma mère, prenait sa défense; mon impression de vide affectif était faussée, puisqu'il m'était dit que je me trompais. Quand son propre père place la barre si haut que l'atteindre semble impossible ou illusoire, que reste-t-il à un fils pour grandir? Aller chercher des identifications ailleurs, auprès d'autres hommes que je jugeai comme autant de repère (re-père). Entre un père absent et une mère possessive et toute-puissante, le chemin de la croissance est étroit et parsemé de tours et de détours... Il me semble que l'enfant dans sa constitution psychique et son épanouissement personnel, doit pouvoir non seulement s'imaginer capable de dépasser ses parents mais pouvoir l'acter c'est-à-dire le réaliser. Les parents — a fortiori le père pour un garçon et la mère pour une fille par identification au parent du même sexe — devraient offrir l'opportunité d'ouvrir le champ des possibles. Freud et les freudiens parlent de tuer symboliquement le père, c'est l'imiter, le rattraper, le dépasser, faire mieux que lui, en dernier ressort.

Et puisque je suis plus fort que papa, je peux grandir en sécurité.

Cependant si les fondations sont le mensonge et l'injustice, alors la base est fragile, voire instable. Si le parent ne descend pas de son piédestal, reste indéboulonnable, l'enfant rencontrera des difficultés à trouver le masculin qui permet que tout soit possible… Une force intérieure, de l'ordre de l'inconscient, me poussait à tenter de comprendre, de chercher auprès de ma famille, les éléments manquants et les non-dits. C'est comme si je pressentais la nécessité d'effectuer des recherches sur la question du transgénérationnel, sans savoir ce que c'était, vingt ans auparavant.

Quelques mois plus tard, à la faveur d'une discussion avec mon oncle, le mari de la sœur de mon père, j'appris que mon père fréquentait gratuitement des prostituées! Il bénéficiait de leurs largesses par un heureux concours de circonstances sur lequel je ne m'étendrais pas. De là, à penser qu'un acte non tarifé modifiait la qualité de celle avec qui on le faisait, il y a un fossé allègrement franchi. Toutefois, l'information était de taille! Ainsi mon père, le super tombeur, se tapait des putes en me faisant croire qu'il avait eu une myriade de femmes bien sous tout rapport. A l'image du mur de Berlin, un monde s'écroulait! Ainsi, il n'était pas celui que je croyais qu'il fut. Finalement, il était « normal » mais il ne m'avait pas tout dit. Quelle raison le poussait à se faire plus beau, à se montrer sous un meilleur jour? Je me demandais dès lors si mon superman de père n'était qu'un petit garçon qui voulait se cacher pour faire genre comme la grenouille de la Fable veut devenir le bœuf! Je découvrais qu'en tant que dernier d'une fratrie de cinq, il avait toujours été pris en charge par les femmes, sa mère, ses sœurs aînées, son épouse.

Enfin, je comprenais la supercherie et m'autorisais à prendre mon envol: refus de la succession et ma propre route séparée de celle qui m'était tracée. Mon chemin a croisé la psychanalyse transgénérationnelle qui m'a beaucoup apporté. Merci la vie, merci papy! A l'âge où l'on devient père, notre propre père devient grand-père, on s'inscrit comme référent dans la lignée. Tout ce qui faisait qu'on était « fils de » se transforme en « père de », avec les responsabilités inhérentes et le rattachement inconscient aux structures familiales, paternelles en l'occurrence. La réciproque est vraie pour les femmes de manière exacerbée. Je ne pouvais plus l'appeler papa depuis mes 25 ans mais la paternité a mis en évidence ses manques et ses incohérences. Quand on voit son père comme un homme comme un autre si ce n'est qu'il est notre géniteur, alors on grandit! Françoise Dolto dit que la castration au moment de l'œdipe, c'est la séparation d'avec la mère; elle est plus précisément, la séparation du maternel archaïque, qu'il soit transmis par la mère ou par le père.

Didier

10/08/14