Manifestation d'un fantôme en Israël le 7 octobre 2023 ?
Cet article propose une réflexion transgénérationnelle sur les événements du 7 octobre 2023 en Israël en les rapprochant d'un « fantôme » transgénérationnel issu de traumatismes non métabolisés et transmis à travers les générations. En s'appuyant sur un article factuel du Monde retraçant les massacres de 1948 et leurs impacts historiques, il explore les mécanismes de répétition dans l'histoire collective. L'analyse met en lumière la manière dont le silence, l'oubli et l'absence de parole nourrissent ces « fantômes », tout en soulignant la nécessité de leur confrontation par la parole pour éviter la perpétuation des blessures. À travers une approche psychanalytique et transgénérationnelle, cet article interroge les dynamiques mémorielles, les responsabilités historiques et la possibilité d’une guérison collective pour les générations futures.
Rappelons qu'en analyse transgénérationnelle, un fantôme n'est pas un mort qui revient hanter les vivants mais une structure énergétique et émotionnelle d'un manque de parole sur un événement traumatisant (pas forcément d'un secret) qui va se transmettre de génération en génération si rien n'est fait pour l'éradiquer. Il peut s'agir d'un traumatisme qui n'a pas pu être métabolisé et qui pourra provoquer un « bégaiement » de l'histoire. Les fantômes les plus puissants seront ceux de meurtres d'enfants et de génocides de guerre notamment qui s'accrocheront aux vivants et pourront sauter plusieurs générations.
En lisant l'article de Benjamin Barthe intitulé « Nakba, la grande déchirure », paru dans le journal Le Monde le 10 janvier 2024 qui retrace un événement arrivé le 28 octobre 1948, nous pourrons relever certaines correspondances avec les événements du 7 octobre 2023 à commencer par la date: les deux événements se sont déroulés en octobre, trois générations après le massacre de paysans arabes dans le village de Dawaymeh.
Le 10 mars 1948, des dirigeants sionistes, sous la direction de David Ben Gourion, finalisent le « plan Daleth » à Tel-Aviv. Ce document militaire secret ordonne la prise de contrôle des villages palestiniens en les incendiant, les dynamitant ou en expulsant leur population. Les zones les plus résistantes doivent être soumises à une élimination de leurs forces armées et à l'expulsion de leurs habitants hors des frontières de l’état israélien en formation. Pour rappel, la création de l'état d'Israël sera signée le 14 mai 1948.
Les troupes israéliennes disposent de dossiers détaillés sur chaque village, incluant l’affiliation politique des habitants et la liste des personnes jugées hostiles, souvent exécutées sur place après la conquête. Plusieurs massacres ont lieu, notamment à Deir Yassine, Tantoura et Dawaimeh en 1948, où des témoignages font état de violences extrêmes, incluant le meurtre d’enfants et de femmes brûlées vives. Ces actes suscitent une indignation, même parmi certains responsables israéliens, comme le ministre de l’Agriculture Aharon Zisling, qui compare ces exactions à celles des nazis.
Nous pouvons remarquer la similitude des moyens d'interventions et des barbaries de la part du Hamas le 7 octobre 2023. L'histoire bégaye deux générations plus tard.
Historiens et chercheurs, comme Ilan Pappé et Benny Morris, qualifient ces événements de « nettoyage ethnique ». L’idée de déplacer la population arabe de Palestine est présente dès 1917 dans la pensée sioniste, sous le terme euphémisé de « transfert ». David Ben Gourion lui-même, en 1937, évoque la nécessité d’un transfert à grande échelle rendu possible par la montée en puissance des forces juives. Un exemple marquant de cette politique d’expulsion se déroule à Ramleh en 1948. Lors de l’assaut, Yigal Allon interroge Ben Gourion sur le sort des habitants. Par un simple geste de la main, ce dernier ordonne leur expulsion. Yitzhak Rabin, futur premier ministre israélien, relate cet épisode dans ses mémoires, bien que ce passage ait été censuré jusqu’à sa révélation par le New York Times en 1979.
Nous voyons, ici encore, l'absence de paroles: pas d'ordre écrit ni même parlé ! Un geste suffit et les officiers comprendront ce qui est attendu d'eux.
Pour Benny Morris, qui a viré progressivement à droite au début des années 2000, tous ces éléments sont constitutifs d'un « nettoyage ethnique ». « Nous pensons que la colonisation de la Palestine doit aller dans deux directions: installation des juifs en Eretz Israël et réinstallation des Arabes d'Eretz Israël en dehors du pays » écrivait en 1917 Aryé-Yéhouda-Léo-Motzkin, l'un des penseurs les plus libéraux du mouvement sioniste.
Nous serons donc dans une répétition de l'histoire ... et dans la réalisation du plan de colonisation pensé en 1917 au vu de ce qui se passe en ce moment à Gaza sous la direction de M. B. Netanyahou.
C'est pourquoi, nous pourrions voir un fantôme en action le 7 octobre 2023 mais, alors, comment combattre un fantôme ? « Les fantômes, ça se flingue avec des anges » nous dit Didier Dumas dans son ouvrage "L'ange et le fantôme" publié aux éditions de Minuit. « Le fantôme tend à "repriser les déchirures de l'impensé généalogique" ... par le silence, le sommeil et l'oubli. L’ange, à contrario, est un messager du ciel, de la lumière et du verbe. »
Il va donc s'agir de faire ressurgir le verbe dans l'inconscient généalogique. Pour être plus clair, on ne peut pas envisager un avenir pour soi et ses descendants si l'on analyse pas les causes de l'origine d'un traumatisme... à des fins de guérison bien sûr. Un traumatisme est une blessure qui a donc besoin, comme toute blessure, d'être soignée. Avant d'être soignée, elle doit être diagnostiquée. Les blessures, d'un côté comme de l'autre, sont entretenues par « le silence, le sommeil et l'oubli » et c'est le "fantôme" qui va se charger de les transmettre aux générations suivantes. La réparation et le soin ne peuvent advenir que par la parole...
En analyse transgénérationnelle, cette parole s'adresse à un analyste qui aide son "client" en faisant avec lui les recherches des répétitions dans son arbre, d'analyse des dates et des transmissions de faits, de prénoms ou de noms notamment. Ici, il s'agit de l'avenir de deux nations ... Il faudrait donc que l'une d'elle ou les deux trouvent la personne ou la nation qui ferait office d'analyste (de lien d'amour) sur lequel un transfert de guérison puisse se faire. Sinon, ce n'est pas une "patate chaude" qui serait transmise aux descendants - car il y aura répétition de "faits" en général à des dates anniversaires - mais bien une "grenade dégoupillée" (ce qui serait le cas de le dire ici...) selon la formule de Bruno Clavier dans "Les fantômes familiaux".
Reste à savoir quelle parole pourrait être entendue lorsqu'on sait la lecture et l’interprétation des grands textes constitutifs de notre société judéo-chrétienne (la Thora, la Bible et le Coran) qu’en font les grandes religions et notamment Israël.
Comme dit Eyal Sivan, une des rares voix (très controversée) de citoyens israéliens qui s’opposent à la guerre, dans une émission intitulée « Israël contre les Juifs » le 24 février 2024: « Le sionisme est une forme de négation du Judaïsme. Israël, aujourd’hui, est un danger pour les Juifs qui vivent en dehors d’Israël. »
Cela risque malheureusement d'être difficile à entendre et je crains que nous soyons loin d'être débarrassé de ce fantôme et donc, malheureusement, susceptibles de le voir à nouveau réapparaître ... dans quelques générations.
Notons que l'article de Benjamin Barthe est factuel, référencé et sourcé. Il est important de préciser qu'il n'y a pas de jugement ni dans l'article ni dans l'analyse que nous en faisons. Le travail de recherche transgénérationnelle n’a jamais pour objet de juger nos ancêtres qui ont fait ce qu'ils ont pu à une époque donnée, dans un contexte géopolitique particulier et avec leur propre héritage. On cherche plutôt à soigner les blessures et à stopper la roue des répétitions en flinguant le fantôme, en utilisant la lumière du verbe et la parole de l'ange.
Par ailleurs, d'un point de vue psychanalytique, c'est le père qui donne le cadre et qui fixe les limites. Or, qui est le père de la société israélienne ? Israël ne semble pas avoir de limites tant physiques (territoriales) qu'intellectuelles (morales) mais ce serait peut-être un autre cadre de discussions...
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Publié le 18 avril 2025
La Nakba: une tragédie historique au cœur du conflit israélo-palestinien et un processus toujours en cours
Je crois que la mémoire familiale, collective ou historique n'est pas une simple rétrospective: c'est un matériau vivant, qui nous façonne autant que nous pouvons le transformer. Ce commentaire propose une lecture transgénérationnelle de la Nakba, non pour prendre parti mais pour nommer les blessures invisibles qui traversent les générations des deux côtés du conflit.
Origines du conflit
Le conflit israélo-palestinien plonge ses racines à la fin du XIXe siècle. Le mouvement sioniste, né en Europe, prône la création d'un État juif en Palestine, alors province ottomane. La population arabe palestinienne, majoritairement musulmane mais aussi chrétienne, vit sur ces terres depuis des siècles. Les tensions augmentent avec l'arrivée progressive d'immigrants juifs, notamment après la première guerre mondiale.
Mandat britannique et promesses contradictoires (1917-1947)
En 1920, la Palestine passe sous mandat britannique après la chute de l'Empire ottoman. En 1917, la Déclaration Balfour soutient la création d'un "foyer national juif", sans porter atteinte aux droits des autres populations. Cette promesse entre en contradiction avec celles faites aux Arabes pour un État indépendant, exacerbant les tensions communautaires.
Plan de partage de l'ONU (1947)
L'ONU propose un plan de partage avec 56% du territoire pour un État juif, 43% pour un État arabe et Jérusalem sous contrôle international. Bien que représentant environ 33% de la population, les dirigeants juifs acceptent le plan tandis que les Palestiniens et les États arabes le rejettent car ils le juge inéquitable.
Guerre de 1948 et exode palestinien
Le 14 mai 1948, l'État d'Israël est proclamé. Le lendemain, les armées de cinq pays arabes interviennent: c'est le début de la première guerre israélo-arabe. Durant la guerre, entre 700 000 et 750 000 Palestiniens fuient ou sont expulsés: certains par peur des combats ou suite à des rumeurs de massacres, d'autres sont expulsés par l'armée israélienne, notamment lors de l'attaque de Deir Yassine (avril 1948) où plus de 100 civils palestiniens sont tués (selon les travaux de l'historien Ilan Pappé). À l'issue du conflit, Israël contrôle 78% de la Palestine mandataire, bien au-delà des proportions prévues par l'ONU.
Des conséquences durables
Aucun droit au retour n'est accordé aux réfugiés palestiniens. Israël justifie ce refus par la crainte d'un déséquilibre démographique menaçant son caractère juif. Les réfugiés s'installent dans des camps souvent précaires en Cisjordanie, à Gaza, au Liban, en Syrie et en Jordanie (UNRWA, 2023). Leurs biens sont confisqués par l'État israélien et déclarés "absents".
Un processus toujours en cours
La colonisation de la Cisjordanie se poursuit avec plus de 700 000 colons israéliens en 2024 et le blocus de Gaza depuis 2007 affecte 2,2 millions de personnes. Les violences récurrentes entraînent des pertes massives et des traumatismes durables. La loi de l'État-Nation de 2018 renforce le caractère juif de l'État d'Israël en marginalisant ses citoyens arabes (20% de la population) et en ne reconnaissant pas leur droit à l'autodétermination. Des familles palestiniennes intentent régulièrement des procès pour récupérer des terres confisquées en 1948, souvent sans succès. Tout cela, a un impact psychologique: selon l'OMS, 68% des enfants de Gaza présentent des symptômes de stress post-traumatique lié à l'occupation et aux guerres répétées.
Publié le 18 avril 2025
La Nakba: une mémoire transgénérationnelle du déracinement, du silence et de la dignité
Un traumatisme fondateur inscrit dans les corps et les récits
La Nakba n'est pas un simple épisode: c'est une brèche existentielle dans la continuité des familles palestiniennes. Exode, humiliation, perte du foyer... ces blessures vivent dans la psyché collective. Le figuier du village, la clef de la maison laissée derrière soi: autant d'objets symboliques et de mémoires vives.
Transmission par le non-dit, la loyauté et les symptômes
Le silence, souvent hérité, crée des loyautés invisibles et des transmissions implicites. Cela engendre chez les descendants: des troubles anxieux ou du sommeil, une difficulté à s'ancrer quelque part, des répétitions d'exils inconscientes.
Identité fragmentée et sentiment d'incomplétude
L'exil produit un déracinement identitaire durable. Entre idéalisation de la Palestine d'avant 1948 et volonté de s'en détacher, beaucoup vivent une tension entre loyauté et autonomie.
Réactivation des mémoires par l'actualité
Chaque nouvelle expulsion ou bombardement réactive le trauma de la Nakba. Les jeunes générations, même sans l'avoir vécue, en portent les résonances.
Entre transmission de la blessure... et de la résistance
Si la Nakba transmet la douleur, elle transmet aussi le sens de la dignité, la mémoire comme ancrage et la foi dans un avenir habitable.
Cette mémoire est hantée des deux côtés. Côté palestinien, la Nakba est un traumatisme non reconnu, vécu comme une négation existentielle. Le droit au retour est autant politique que symbolique: droit d'avoir été vu, entendu, légitimé. Côté israélien, le traumatisme de la Shoah nourrit une peur collective d'anéantissement. Cette peur transgénérationnelle influence les politiques sécuritaires: refus du droit au retour palestinien par crainte démographique et construction du mur de séparation (achevé en 2005). Être à la fois peuple du trauma et peuple de la force génère des dissonances identitaires profondes.
Le transgénérationnel: nommer les fantômes pour apaiser les vivants
Penser ce conflit sans le transgénérationnel, c'est comme vouloir réparer une maison sans visiter sa cave. Il permet de distinguer l'histoire héritée de la place actuelle. Il éclaire les loyautés invisibles qui rejouent les douleurs d'hier. Il ouvre la voie à une parole réparatrice, humaine, non guerrière.
Publié le 18 avril 2025
Lectures et ressources pour aller plus loin
La Mémoire de la Nakba – Elias Sanbar.
Essai historique et poétique, cet ouvrage de l’intellectuel et poète Elias Sanbar retrace les étapes de l’exil palestinien à partir de 1948. Il montre comment la perte de la terre devient une mémoire mobile, transmise de génération en génération à travers les récits, les objets, les silences. Sanbar donne à voir une histoire du présent, où les souvenirs personnels croisent la géopolitique. Un texte fondamental pour comprendre le rôle de la mémoire dans la construction de l’identité palestinienne. Un livre qui fait entendre la voix des absents, et éclaire les formes de résistance par la mémoire.
La Guerre des mémoires – Benjamin Stora.
Dans cet ouvrage devenu un classique, l’historien Benjamin Stora explore les conflits mémoriels postcoloniaux : Shoah, Algérie, exil des juifs d’Orient, et aussi la Palestine. Il montre comment la mémoire peut être utilisée à des fins identitaires ou politiques, et propose une éthique du dialogue mémoriel. Ce livre offre des clés essentielles pour comprendre la concurrence des mémoires dans le contexte du conflit israélo-palestinien. Indispensable pour penser les mémoires blessées non comme rivales mais comme appel à reconnaissance mutuelle.
La Blessure et la parole – Joseph Fiszel.
Ce livre réunit des témoignages, récits de vie et analyses autour des traumatismes collectifs et de leur transmission. Bien que centré sur les survivants de la Shoah, il ouvre une réflexion plus large sur le corps comme lieu de mémoire, et sur les traces invisibles qui traversent les générations. À lire en miroir de la Nakba pour saisir comment le silence peut devenir symptôme, et comment la parole peut ouvrir une voie de transformation. Une ressource précieuse pour les cliniciens, mais aussi pour quiconque s’interroge sur les traces du passé dans sa propre famille.
Palestine + 100 (dir. Basma Ghalayini).
Cette anthologie de nouvelles de science-fiction palestinienne imagine ce que pourrait être la Palestine en 2048, soit 100 ans après la Nakba. Les auteurs y explorent des futurs dystopiques, utopiques ou symboliques, mêlant critique politique, imaginaire technologique et mémoire culturelle. C’est une manière originale de percevoir la résilience créative des jeunes générations palestiniennes. Un geste littéraire puissant : réinvestir le futur sans effacer le passé.
Les films de Elia Suleiman.
Réalisateur palestinien reconnu internationalement (Chronique d’une disparition, Intervention divine, It Must Be Heaven), Elia Suleiman utilise l’humour absurde, le silence et la poésie visuelle pour évoquer la condition palestinienne, l’exil, et la perte d’un chez-soi. Son œuvre déjoue les clichés militants pour proposer une méditation subtile sur l’identité, la mémoire et l’absurde du quotidien sous occupation. Un cinéma du regard, où l’humour devient résistance et où l’absence dit plus que les discours.
Les documentaires de Simone Bitton.
Réalisatrice franco-marocaine d’origine juive, Simone Bitton propose des documentaires à la fois rigoureux, sensibles et équilibrés. On trouve parmi ceux-ci "Mur" (2004) sur la barrière de séparation en Cisjordanie et "Palestine, histoire d'une terre" qui est un documentaire historique fondamental. Ses films donnent la parole aux deux côtés du mur, aux deux versants de l’histoire et interrogent la possibilité d’une mémoire partagée.