Un article de Catherine Berte publié le 11 août 2023

Les soubassements subconscients et refoulés de la personnalité, la plupart du temps, génèrent des tensions et difficultés d’être qui ont besoin d’être conscientisés pour permettre l’apaisement.
La psychanalyse corporelle permet de faire le pas de plus: aller à la racine du moment où s’est engrammé ce qui nous manipule, pour ensuite vivre par le corps un point de vue sans bourreau ni victime initiateur d’un apaisement fondamental.

Historique

La psychanalyse corporelle est une technique mise au point à partir de l’ostéopathie crânienne il y a quarante ans par Bernard Montaud. Elle permet de revivre corporellement les événements clés de notre passé, de lapsus corporel en lapsus corporel à travers huit couches de mémoire et de revivre sans commentaire nos différents traumatismes constructeurs de la personnalité.

En se basant sur plus de 150.000 séances, c’est une véritable « grammaire » du monde traumatique qui s’est imposée. Chaque traumatisme semble ainsi avoir une place précise, un contenu et une nature spécifique selon la période de vie concernée. La distinction est faite entre deux catégories de traumatismes : un traumatisme primordial ou traumatisme périnatal qui programmerait chacun de nous dans une personnalité, c’est-à-dire dans une façon toute personnelle de se comporter dans la vie, dans ses bonheurs comme dans ses souffrances. Puis une catégorie de traumatismes secondaires – celui de la petite enfance, de l’enfance et de l’adolescence – réactualisant le programme initial selon les conditions spécifiques à chaque âge. Un peu comme un vaccin serait suivi de trois rappels.

Quatre traumatismes constructeurs de la personnalité

Le premier traumatisme, qu'Otto Rank lui-même (1) a approché, est le traumatisme périnatal. La psychanalyse corporelle constate qu’il est la violente découverte du secret des hommes tellement « maladroits en amour ». Dans cent pour cent des cas revécus l’enfant ressent une grande solitude. Tant en comparaison du ventre si amoureux de sa maman, l'extérieur paraît « inhumain ». Le traumatisme périnatal semble bien être la découverte que l’imperfection est l’une des conditions de la vie sur terre. Et c’est parce que tous ceux que l’enfant observe souffrent de leurs imperfections - à vrai dire chacun ne s’aimant pas soi-même imparfait - qu’il le ressent douloureusement (2).

Quant au traumatisme de la petite enfance, qui a lieu entre un jour et l’entrée à l’école, est toujours la violente découverte du secret familial . C’est-à-dire de toutes les tractations de pouvoir et de séduction, tout ce réseau d’influences et ces amours inconscients qui font le tissu d’une famille. De par la proximité maternelle à cette période de la vie, l’enfant va souvent percevoir ce secret familial dans les yeux de sa maman mais parfois aussi dans ceux d’autres personnes très proches. .

Lors du traumatisme de l’enfance qui a lieu, selon le sexe, avant douze ou quinze ans, ce que l’enfant va percer est le secret de l’ambiguïté sexuelle. Dans ce traumatisme, l’enfant découvre une ambiguïté séductrice ayant le pouvoir de lutter contre l’autorité. Il va explorer, en s’y brûlant, un moyen d’attirer l’attention et d’obtenir une importance aux yeux du chef du clan. Mais de par cette ambiguïté sexuelle, il va recevoir le secret de la honte, le secret de la faute. L’enfant apprendra donc les modalités de consommation du plaisir, toujours teinté de culpabilité.

Enfin, avec le traumatisme de la puberté, l’adolescent va pénétrer le secret de sa différence interdite. Entre ses rêves d’amour idylliques et la réalité amoureuse qu’il expérimente, il y a une fracture. Et il va devoir sacrifier un « voilà comment j’aurais pu aimer » pour subir un « si tu veux me garder, voilà comment tu dois m’aimer ! ».

La psychanalyse corporelle: une plongée progressive dans la sincérité du corps

Dans un lâcher-prise du corps, celui-ci va rentrer dans huit niveaux de lapsus corporels qui vont le plonger dans un revécu du passé. Le corps va ainsi revivre des instants de l’histoire et donner accès à notre place familiale dans un revécu corporel d’abord symbolique de la difficulté d’être de l’enfant (dans les niveaux deux, trois et quatre de séance) puis dans un revécu concret de ce qui l’a obligé à faire des choix comportementaux (dans les niveaux cinq, six et sept de séance) et enfin il va aussi donner accès à la qualité particulière de la personne, sa grâce, que nous nommerons à partir des mouvements sacrés de séance (dans le niveau huit du revécu). Ces lapsus vont donc évoluer graduellement pour devenir des mouvements de plus en plus précis, puis concrets. Chaque niveau de lapsus est donc un lâcher prise graduel du mental qui voit remonter des images, des odeurs, des décors des scénarios. Bref, l’esprit observe des instants vécus, la plupart du temps entièrement oubliés et devient spectateur du corps.

Et le transgénérationnel alors ? De manière indéniable, la construction de l’enfant se fait dans un apprentissage des lois et comportements familiaux et ce conditionnement scelle en chacun ses comportements usuels. Les soubassements subconscients et refoulés de la personnalité, la plupart du temps, génèrent des tensions et difficultés d’être qui ont besoin d’être conscientisés pour permettre l’apaisement. La psychanalyse corporelle permet de faire le pas de plus: aller à la racine du moment où s’est engrammé ce qui nous manipule, pour ensuite vivre par le corps un point de vue sans bourreau ni victime initiateur d’un apaisement fondamental. Aujourd'hui, nous disposons de plus de 1500 dossiers archivés et étudiés, représentant plus de 150.000 séances de psychanalyse corporelle mettant en évidence la mémoire du corps. L’étude de ces cas fait émerger deux types de transmission familiale (4): transgénérationnel factuel et transgénérationnel inscrit.

Transgénérationnel factuel

Je nomme le premier « transgénérationnel factuel » parce que la transmission se fait le plus souvent dans un bain de comportements usuels et d’exigences dans lequel un jour l’enfant sera impacté et choisira irrémédiablement un comportement personnel. Pour éclairer cette transmission qui nous impacte à 100%, je prendrai comme exemple le cas de Jeanne.

Jeanne est une petite fille de quatre ans qui s'habille dans la salle de bain, sa maman l'aide à fermer les boutons de sa robe. C'est dimanche et toute la famille est invitée à manger pour régler le partage d'une propriété qui appartenait à l'arrière-grand-mère. La maman parle à son mari et dit : « Oh ! Lucie, elle m'épuise avec l'héritage... ». Un peu plus tard, Jeanne rentre du jardin. Tout le monde est à table, l'ambiance est tendue, car une répartition inéquitable des biens vient d'avoir lieu: la famille de la petite Jeanne est lésée, le papa ne reçoit pas la maison qui lui revenait. La maman est à la fois en colère et blessée de ce désaveu. Alors Jeanne se met en colère et se tournant vers la tante se met à crier avec ses mots d'enfants : « T'es qu'une méchante avec maman ». Elle sait bien que, dans cette belle-famille, ce sont les femmes qui tiennent le pouvoir et l'argent. Elle a perçu que sa tante et sa mamie ont gardé les biens. Elle perçoit aussi que son papa s'est marié contre l'avis de la famille et que sa mère ne fait pas le poids en face d'elles. Alors elle, la petite, va tout dénoncer. Elle n'a pas froid aux yeux, cette petite qui se révolte. Dans la verbalisation qui suit la séance, elle témoigne : « J'ai la colère qui me monte, j'ai envie de la tordre en deux, de lui casser sa jambe, alors je lui mets un coup de pied dans le tibia ». Comme sa maman la fusille du regard, elle perçoit qu'elle met ses parents en danger. Elle n'en revient pas, elle est clouée sur place, réduite au silence !
Dans cet événement, sa maman lui transmet la façade de cohésion de la famille, le mensonge insupportable du « froid et sans amour » auquel elle se soumet pour ne pas perdre sa maman. Seul un ultime instinct de survie peut la pousser à ce retranchement. Pour ne plus souffrir, elle va se mettre à distance, décider de ne plus sentir l'autre. Elle adhère par là-même au mensonge familial. Elle témoigne : « ...Désormais, je resterai loin, très loin, il y aura deux Jeanne, l'extérieur pour la façade et l'intérieur... » Dorénavant la petite Jeanne vivra avec ces repères familiaux, « à distance, inférieure » comme sa maman devant cette belle-famille. Il y a là un bain familial de conventions et de règles tacites qui est transmis dans un instant à la limite de la folie pour l’enfant et où il va intégrer ces lois et définir son comportement de base.

Transgénérationnel inscrit

Je nomme le second « transgénérationnel inscrit » car dans une part non négligeable de cas (près de 30% voire plus) le revécu des instants de notre construction intime donne accès à l’histoire personnelle originelle de l’adulte en présence, bourreau de circonstance. Encore une fois prenons des exemples pour éclairer ce principe avec les cas de Marc et d'Anémone.

Cas de Marc

Dans un moment de toilette où la maman et sa belle-soeur sont en train de changer Marc, un petit bébé de deux ans, sensuel et vivant. Une partie de chatouillis sur tout le corps attise une chaleur du bas-ventre et produit une érection. Le bébé, dans cet instant précis, reçoit d’abord un regard apeuré de la tante, puis ses yeux noirs en colère accompagnés d’une avalanche d’injonctions : « Sale garçon, tu dois être sage et rester le petit garçon de tante Jo... Le petit Jésus te regarde… ». Dans ce regard apeuré, le bébé perçoit qu’il a réveillé une vieille blessure encore béante : tante Jo a été abusée à 22 ans dans une grange, par un voisin rustre et sans délicatesse. Depuis ce jour, elle cache cette blessure profonde et sa peur des hommes sous une bigoterie froide. Dans cet échange de regard, le temps est en suspens : l'enfant qui a perçu ce secret va maintenant devoir choisir entre la façade froide et bigote de la tante ou la volupté du bébé sensuel. Ces deux forces contraires, d’égale intensité, s’annulent l’une l’autre en permanence. Confronté à cette juxtaposition impossible, il ne peut opter pour aucun camp. Il est alors dans un désarroi profond et se confronte à ces deux forces dans un déchirement intérieur à la limite de perdre la raison. Enfin, pour ne pas perdre la famille, ce petit garçon de deux ans à peine, va se condamner lui-même : Il sera un petit garçon sage et soumis, étouffera tous ses plaisirs, ne donnera plus jamais libre cours à cette virilité qui a fait si mal à sa tante Jo… 

Cas d’Anémone

L’arbre généalogique présenté ci-dessous sera bien plus explicite encore que la présentation trop succincte du cas.

Dans le contexte d’un baptême, une petite fille d’une semaine, encore tout empreinte du sacré de la vie, perçoit, dans un simple regard du parrain dominateur, toutes les tractations de pouvoir et de tromperie de la famille. En effet, dans cet instant, le bébé perçoit l’origine même de cet oncle, issu d’un adultère de la grand-mère avec son beau-frère … et cette liaison a eu lieu fréquemment sous les yeux de son papa enfant. Dans ce contexte anodin, invisible extérieurement, ce bébé vit un « tout voir à la folie » de la situation, analogue à la sixième étape de la naissance*. Dans cet instant, elle est devant la folie d’être une fille dans le clan de la grand-mère chaude et infidèle… de ne pas pouvoir laver l’honneur de son papa qui avait promis un petit fils à son père pour sauver son nom et racheter l’honneur! Pour garder la raison, elle décide de renoncer à sa dimension d’Amour et de s’effacer à tout jamais pour ne pas décevoir ce papa. Pour moins souffrir elle va dans le même réflexe effacer cet instant, oubliant irrémédiablement cette facette vivante et imaginative d’elle-même.

Quelques principes importants

Dans ces deux cas, je soulignerais quelques principes importants: c’est toujours au moment d’un engagement physique intense et insoutenable que l’analysé accède, par le vécu de l'enfant, à l’éclairage du bourreau de circonstance. Cette ultime information mène de surcroît à une réconciliation supplémentaire. Cette mise en sens des réactions du bourreau, lui-même manipulé inconsciemment par son propre conditionnement, permet à l'analysant de rencontrer ce bourreau de circonstance, sans haine dans sa blessure intime. Il a accès à un instant suspendu sans bourreau ni victime. (Voir aussi pardon, temporalité et assimilation des traumatismes).

Un second principe essentiel en psychanalyse corporelle: l’analysant découvre, par le revécu de ses traumatismes d’enfance, toute la réalité de son histoire. Rien n'est laissé dans le secret. Ce revécu est également une reconnexion par le corps avec cette faculté d’être que nous avons enfouie. Il est alors possible d’accompagner les analysants dans cette réappropriation au quotidien. Le revécu n’étant dès lors qu’une partie du travail de conscientisation permettant un mieux vivre essentiel et progressif au quotidien.

Enfin, un troisième principe de la psychanalyse corporelle est la réconciliation fondamentale avec l’état de victime en mettant tout le sens et le focus sur les circonstances des traumatismes et le principe de construction traumatique. L’enfant en renonçant à une part de lui-même construit ses fonctionnements et se met en adéquation avec son contexte familial, construisant ensuite sa personnalité unique, ses qualités et ses défauts. L’état de victime est accueilli dans le groupe de travail composé d’un microcosme sociétal non professionnel car comme le dit Bruno Clavier « la justice passe par une reconnaissance par notre société et est vitale ». En psychanalyse corporelle, le processus de réconciliation amène à une mise en sens profonde de l’implication de l’enfant qui s’est maladroitement donné pour mission de sauver ses parents de leur propre histoire familiale, de panser leur blessure cachée. Ce faisant il allume généralement une compensation, une vengeance du bourreau à ses propres dépens. C’est la mise en vis-à-vis de ces deux misères humaines, l’innocence de la victime, mais aussi une certaine innocence du bourreau subissant lui aussi une loi familiale et rempli d’une vengeance contre son histoire qui ancre une profonde réconciliation de l’analysé avec son histoire. Cette mise en sens peut ensuite être travaillée pour tirer profit de cette réconciliation. Comme si connecter le mandat transgénérationnel ouvrait aussi la piste de la mission de vie. Cet élan de guérir le parent défaillant aboutit systématiquement à un traumatisme dans l’enfance. Ce n’est qu’à l’âge adulte que cette connexion à la racine et au mandat transgénérationnel permet de conscientiser les facettes très particulières de la personnalité qui sont alors les atouts d’évolution personnelle pour enfin pouvoir prendre une place aidante pour l’humanité et reconnaître sa vraie place sur terre.

Dans cette étape-là du processus de réconciliation et de l’accompagnement, plus aucun psychanalysé ne voudrait changer son histoire traumatique et transgénérationnelle ou s’en débarrasser. Connecter l’histoire c’est apprendre à l’aimer, c’est apprendre à s’aimer et vraiment être disponible pour aimer l’autre !

Notes

(1) Rank Otto, Le traumatisme de la naissance, Éd Payot, 2002.
(2) Montaud Bernard, L'accompagnement de la naissance, Éd. Édit'As, 1997.
(3) Clavier Bruno et Gauthier Inès, L’inceste ne fait pas de bruit, Éd Payot, 2021.
(4) Berte Catherine, A quoi je sers ? Le transgénérationnel en psychanalyse corporelle. Alternalivre, 2022.

L'auteur

Catherine Berte

Catherine Berte

Docteur en Sciences et Psychanalyste corporelle

Docteur en Sciences, professeur de génétique et psychanalyste corporelle Superviseur pour l'Institut Français de Psychanalyse Corporelle Forgée à l'investigation scientifique et au corps, j'accompagne ceux qui souhaitent mettre du sens sur leurs fonctionnements répétitifs et se libérer des scénarios d'échec ou d'emprise hérités du transgénérationnel. Auteure des livres "A quoi je sers? Le transgénérationnel en psychanalyse corporelle" (2022) "Ni bourreau ni victime" ( Éditas 2009)