Un article de Marion ROLLIN publié le 20 décembre 2018

Écrire, c’est créer de la vie. Lorsque je lis une histoire, je cherche à ce que les paysages, les personnages, leurs goûts, leurs gestuelles, leurs habitudes, les émotions… me traversent. Je veux repartir augmentée de l’expérience d’un autre pour élargir ma vision du monde. Cela marche quand le texte est honnête, c’est à dire quand l’auteur exprime en vérité ce qui le traverse lui, au moment où il écrit la scène, qu’il s’agisse d’un souvenir ou d’une fiction.

Écrire de façon littéraire, c’est à mon sens, aller vers la simplicité de l’émotion, de l’image, montrer les choses, ne pas chercher à les expliquer, en atelier d’écriture on parle de montrer la vie, surtout ne pas dire la vie. Être concret, terre à terre. Ce sera le travail du lecteur de comprendre la signification de ce qui est montré, c’est ainsi qu’il pourra s’approprier l’histoire, librement avec sa singularité : on parle là du pacte littéraire entre l’auteur et le lecteur.

Écrire le roman, c’est élaborer, placer des mots bout à bout qui devront trouver un ordre logique pour faire histoire. Car on écrit souvent par fragments désordonnés. Ce n’est qu’après que l’auteur pourra construire le roman ou la nouvelle, c’est à partir de l’épars qu’il comprend ce qu’il a à dire. Claude Simon (prix Nobel de littérature) dit : Un roman n’est rien d’autre qu’un personnage entrainé dans une action. Il en va de même pour le roman familial qui implique d’arrêter de parle sur un personnage mais bien de raconter les aventures d’un personnage qui se démène au sein d’un système familial et d’une époque pour vivre sa vie d’homme, de femme. Faire de son histoire familiale un roman familial pousse à centrer le récit, à choisir, on ne peut pas tout montrer dans un seul roman, ni tout dire de tout le monde, il faudra une œuvre pour cela.

Dès lors, l’écrivain se demande ce qui lui est essentiel à dire, de qui il doit parler en premier (souvent de lui au milieu des autres). Pour trouver les réponses à ces questions il est invité en atelier d’écriture à lâcher-prise, à écrire de façon spontanée en réagissant à chaud aux propositions d’écriture lancées par l’animateur. C’est comme un jeu, le lâcher prise permet au crayon, au clavier, de puiser dans les tréfonds de l’âme pour générer de la matière première, des scènes qui ne seront pas là pour faire brique dans un récit préconçu mais bien pour donner vie au récit, phrase après phrase. L’auteur part sans savoir où il arrivera, il est comme sur la route de la vie, c’est difficile, heureux, surprenant, cela demande de la persévérance. Au fur et à mesure de l’année, l’auteur, qui lit ses textes à haute voix en atelier, entend des scènes qui se font miroir de ce qui restait caché au fond de sa caverne intérieure. Il les redécouvre avec une distance nouvelle, peut leur donner sens, commence à comprendre l’histoire qui se dit, il commence à construire une structure de roman. Sur deux ans d’atelier, il élabore son chantier d’écriture, parce que le gros de l’écriture se fait seul, en face à face avec soi-même quand on a pris confiance en sa voix d’écriture grâce au groupe qui a joué le rôle du premier lecteur exigeant et bienveillant.

Stephen King dit que c’est la peur qui conduit à une écriture affectée, une fois libéré des peurs - et c’est le rôle de l’atelier d’écriture que de faire tomber ces peurs - le texte prend le dessus sur l’auteur. En roman familial, s’ajoute à cette peur d’écrire, les conflits de loyauté à l’égard de sa famille dont les membres deviennent personnages. L’atelier pousse l’auteur à considérer son texte comme une réinvention de ses souvenirs, l’écrivain devient auteur de sa vision personnelle, ne propose pas une vérité mais sa réalité, en ce sens il fait fiction.

L'auteur

Marion ROLLIN

Marion ROLLIN

Analyste transgénérationnel Généapsy® - Psychanalyse active

Depuis 12 ans, je pratique l’analyse transgénérationnelle en cabinet et propose des ateliers d’écriture comme outil d’individuation. J’ai plus récemment élargi mon champ de pratique en cabinet à la "psychanalyse active". Les outils de la littérature, de la psychanalyse et du transgénérationnel œuvrent conjointement pour conscientiser son chemin de vie et se libérer des conditionnements du passé.

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Publié le 20 décembre 2018

Le « roman familial » renvoie à une notion élaborée par Freud.

Ce dernier avait remarqué que les enfants adoptés développaient un fantasme sur leurs origines. Ils imaginaient souvent être issus d’une famille prestigieuse, qui les aurait abandonnés pour telle ou telle raison. D’après Freud, ce fantasme permettait de corriger la réalité. On idéalise sa famille naturelle pour mieux supporter sa famille d’adoption. L’enfant se dit : « Peu importent les failles, puisque ce ne sont pas mes vrais parents ! Je ne suis donc en rien contraint d’inscrire ma destinée dans la leur. » En fait, comme son nom l’indique, le roman familial est une construction ou une reconstruction de l’histoire d’une famille.

Le roman familial est en vogue depuis longtemps, sous différentes formes. Par exemple les contes de fées, qui regorgent d’enfants à la recherche de leurs origines, la plupart du temps nobles. En fait roman familial retrace l’actualité de la famille... mais pas de façon neutre. Les descendants construisent autour de l’histoire de leur famille,par des conversations animées autour d’une table de Noël ou une table d’anniversaire, ou par des confidences, en catimini, la légende familiale.

Ce roman familialdonne aux enfants un mode d’emploi existentiel.

On voit poindre par exemple des scénarios qui expliquent aux enfants pourquoi on est pauvre : « Avant, on était riche, et puis il y a eu des faillites ! » Le roman familial laisse entendre que tel oncle ou telle tante sont nés une cuillère en argent dans la bouche, et puis différents évènements accidentels sont survenus. Le roman familial ne recouvre donc pas toujours la réalité de ce qui s’est passé, d’où le terme.

Tout n’est pas transmissible, les secrets de famille pèsent leur poids. Mais de toutes façons c’est un roman qui s’élabore avec le « dit » et avec le « non-dit ».

Selon Vincent de Gauléjac, l’élaboration du roman familial est une sorte de « rituel transgénérationnel ».