Article pubié le 30 septembre 2013

Un secret de famille est quelque chose de très paradoxal puisque personne n'en parle mais que tout le monde sait.

Serge Tisseron

Certaines personnes ont en eux le secret d'un autre.

Nicolas Abraham

Les secrets de famille sont la cause de troubles qui se transmettent de parents à enfants et qui peuvent faire obstacle au bon déroulement de l’existence. Ce sont des informations que se sont appropriés un ou plusieurs membres d’une famille, en excluant activement les autres de leur connaissance. L'information cachée porte souvent sur des éléments du passé, d'un parent, d'un grand-parent ou d'un descendant lointain, ou de la famille.

Plusieurs choses peuvent engendrer un secret :

  • La transgression d'une loi
  • La transgression d'une norme culturelle en vigueur à l’époque.
  • Une rupture avec les croyances ou les valeurs familiales
  • Une maladie vécue comme inavouable ( psychose, suicide, violence pathologique )
  • Un échec professionnel douloureux ( faillite)
  • L’emprisonnement
  • La collaboration avec les nazis
  • La marginalisation
  • Un abus sexuel
  • Des relations extraconjugales
  • Le secret peut concerner aussi les antécédents d’un enfant ( surtout sa filiation : insémination artificielle; père biologique autre, etc.).
  • ...

La plupart du temps, l’évènement caché par le secret est source de honte, de culpabilité, de modification négative de l'image de soi et/ou de la famille. Le secret tente d’éviter la mise en question des images parentales, et enkyste les émotions, les représentations mentales péjoratives et les éventuelles dettes liées à la culpabilité.

Le secret de famille est susceptible d'être utilisé à des fins :

  • de pouvoir,
  • de régulation,
  • d’autoprotection,
  • de protection des autres,
  • ...

Le secret peut aussi être généré par un deuil impossible et indicible qui sera à l'origine de la création d’une crypte, qui resurgira dans les générations suivantes sous la forme d’un fantôme transgénérationnel.

Dans le ventre de la crypte se tiennent indicibles, pareils aux hiboux dans une vigilance sans relâche des mots enterrés vifs. Tous les mots qui n'auront pu être dits, toutes les scènes qui n'auront pu être remémorées, toutes les larmes qui n'auront pu être versées.

Nicolas Abraham et Maria Tôrôk

Souvent le contenu du secret est à l'origine d'influences négatives qui pèsent sur ceux qui en sont exclus et parfois même sur leur entourage .

Ces influences peuvent se manifester de différentes manières :

  • être tracassés et insécurisés par le contenu et les enjeux du secret
  • être Fatigué (car le secret absorbe une grande part de l'énergie psychique.
  • être déprimé
  • se sentir culpabilisé sans aucune raison objective
  • vivre des sentiments d'infériorité
  • faire des démarches mystérieuses
  • s’imposer des interdictions de fréquentation de certaines personnes , groupes ou familles
  • vivre de la haine,apparemment incompréhensibles,pour certaines personnes , groupes ou familles
  • s'isoler du reste du monde
  • mettre en place des mensonges, des mythes familiaux rigides qui imposent une image idéalisée de la famille.

Les effets du secret sur l'enfant

L'enfant exclu du secret subit cette ambiance: il assiste à ces comportements mystérieux, se fait rabrouer quand il interroge et ne peut rien décoder de certains. Son angoisse peut s'en trouver accrue : il échafaude alors des fantasmes à visée explicative encore plus terribles que s'il savait. Il peut participer aussi à la dépression de tous et vivre vaguement que sa famille est tarée, sans bien savoir pourquoi ; il peut vivre aussi la blessure narcissique et le sentiment d'infériorité typique de ceux qui se devinent exclus de quelque chose d'important.

Sa curiosité intellectuelle peut subir les effets de l'imposition du silence et de l'interdiction de la quête du savoir : dans les pires cas, face à ses premières questions qui restent sans réponse et lui sont renvoyées comme des transgressions, l'enfant censure son désir de savoir ( Diatkine, 1989 ) D'autres devinent en partie, parce que le secret a suinté ( Tisseron, 1996 ), mais pensent que ce savoir est mauvais et qu'ils ne peuvent ni le posséder ni le partager : ils s'inventent donc des malentendus anxiogènes ou/et posent des comportements bizarres, symboliques, qui sont la suite logique de ce qu'ils ont compris et qui ont peut-être aussi une très timide fonction d'appel. Les plus fragiles, probablement prédisposés cérébralement, se construisent des idées délirantes dans le cadre de décompensations schizophréniques. Pour quelques-uns enfin, une façon moins négative de vivre quand-même leur curiosité intellectuelle, consiste à développer une passion hautement symbolique ( archéologie, génétique, psychanalyse ...)

Secrets de famille, confidentialité et thérapies : Dr Jean Yves Hayez, pédopsychiatre, docteur en psychologie, responsable de l'Unité de pédopsychiatrie aux Cliniques Universitaires Saint Luc (Bruxelles)

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