Un article de Christine Ulivucci publié le 16 février 2016

Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséder.

Johann Wolfgang Goethe.

À côté de ces maisons que nous construisons, que nous rénovons, que nous investissons et qui correspondent aux différentes étapes d'évolution de notre vie, il y a les maisons dont nous héritons. Ces maisons léguées sont aussi des maisons auxquelles nous allons devoir nous confronter. Ce sont des lieux où nous allons vivre concrètement la transmission et la transformation de l'héritage.

Dans les familles, la passation des maisons révèle ce qui est à l'œuvre dans la transmission. Dans certaines familles on revend les maisons à chaque génération, comme pour se débarrasser du passé. Dans d'autres, on capitalise, on accumule, on ne se sépare de rien. Dans d'autres encore, on est spolié et la transmission ne se fait pas. Parfois il existe une injonction formelle qui interdit aux héritiers de revendre ou de transformer la maison. On voit des maisons tomber en ruine et dont le souvenir persiste des générations plus tard.

Transmettre, c'est accorder une place dans la lignée et reconnaître sa descendance. La transmission d'une maison renvoie à une valeur à la fois monnayable et symbolique. Dans un arbre, lorsque la transmission est vivante, le passage d'une génération à l'autre se fait dans la fluidité. Chaque membre de la famille a reçu les bases qui lui permettaient d'investir un espace personnel qui lui correspondait. Car la transmission se fait en amont des décès. Elle suppose un lien de filiation qui laisse d'emblée la place à l'autre, un lien vivant qui engage une responsabilité et permet aux descendants de créer du nouveau à partir des matériaux hérités.

Les héritages n'impliquent pas nécessairement une transmission. On hérite de ses parents parce que c'est la loi et l'on reçoit parfois des biens que l'on ne nous a pas explicitement donnés. L'héritage potentiel constitue par ailleurs un des moyens de maintenir les descendants sous une forme de tutelle et pour certains ascendants le mode de transmission ne s'envisage que dans un rapport de dépendance matérielle.

La donation, à l'inverse du legs, semble constituer une transmission plus consciente. Lorsqu'elle ne vise pas uniquement une réduction d'impôts, la donation découle de l'importance d'offrir quelque chose à ses enfants de son vivant. Transmettre par donation, c'est également accepter la mort et renoncer à l'éternité, à la possession de la pierre, au contrôle d'un matériau impérissable. C'est céder la place à la génération suivante.

La passation des maisons est un des aspects où la nature de la transmission est lisible, palpable. Lorsque l'héritage n'a pas été filtré, il se répercute, inchangé, à la génération suivante. Dans les donations et les legs se rejouent ainsi les absences et les dysfonctionnements de transmission. Une maison de l'emprise maternelle sera redonnée, à peine héritée, et se retrouvera sous l'emprise d'une belle-fille. Une maison de maître, achetée pour réparer la perte d'un château familial, connaîtra une transmission sinueuse viades ventes déguisées et des donations de frère à sœur. Un homme fera donation à chacun de ses enfants d'un étang et mourra noyé en curant son propre étang, une histoire qui n'est pas sans évoquer le nettoyage du trouble familial. Après la disparition de son frère, un jeune homme se verra donner la maison familiale de naissance et y fera prospérer une entreprise de fleurs artificielles.

Les donations viennent parfois compenser un manque de transmission affective. La transmission matérielle vient alors masquer le manque d'amour. On y règle également certaines angoisses, ainsi cet homme qui ne devient propriétaire de son lieu de vie, la maison de ses parents, qu'au décès de son père, et qui conjure son angoisse de la mort en léguant une maison à son fils de son vivant.

La donation permet néanmoins parfois de transmuter certains dysfonctionnements originels. Dans une lignée marquée par la dépossession des filles, une mère s'aperçoit ainsi, en voulant faire une donation à ses filles, que la maison dans laquelle elle vit ne lui a jamais appartenu. C'est donc en transmettant qu'elle se réappropriera un espace personnel en rétablissant un partage entre époux.

Retracer la généalogie des biens hérités permettra d'observer les différentes formes de passation. Certaines maisons sont léguées par un oncle ou une grand-tante qui n'a pas eu d'enfant, d'autres sont revendues juste avant une succession, certaines font partie d'une transmission depuis des générations. Comment les maisons ont-elles circulé dans la famille ? Qui les a construites, achetées, habitées, léguées ? Qui en a hérité ? Autant de questions qui éclaireront la nature de la transmission familiale.

Note

Cet article est extrait de mon livre "Psychogénéalogie des lieux de vie" avec la gracieuse autorisation de la « Petite Bibliothèque Payot ».

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L'auteur

Christine Ulivucci

Christine Ulivucci

Psychanalyste transgénérationnelle

Christine Ulivucci exerce la psychanalyse transgénérationnelle et la psychothérapie à Paris. Fondatrice de l’Atelier de Recherche sur le Transgénérationnel, elle anime également des ateliers de groupe et une formation en transgénérationnel. Elle est l'auteure de Psychogénéalogie des lieux de vie, Ces lieux qui nous habitent, et de Ces photos qui nous parlent, Une relecture de la mémoire familiale, Payot, et anime une chronique hebdomadaire pour Le Divan France 3.