Un article de Andrée HERBIN publié le 16 février 2016

Préambule

Le double jeu des hommes par rapport aux ancêtres: s’émanciper tout en acceptant de dépendre d’eux.
Eric de Rosny, cité dans L’Enfant ancêtre Tobie Nathan & collectif Ed La Pensée Sauvage

*Comment l’enfant qui vient des ancêtres, qui en un certain sens les prolonge peut-il gagner assez d’autonomie à leur égard pour naître au monde visible ? *
Eric de Rosny, cité dans L’Enfant ancêtre Tobie Nathan & collectif Ed La Pensée Sauvage

Je suis actuellement dans ma pratique au coeur de questions conceptuelles concernant le libre-arbitre, la dialectique entre déterminisme et liberté, la tension entre moi et sujet, particulièrement dans la transmission généalogique.. C’est donc à partir de mes doutes et de mes questions que je vais avancer des thèmes pour cette réflexion interdisciplinaire.

Le sens vient toujours dans l’après coup, il en va ainsi de nos histoires généalogiques. La conscience vient dans la mise en perspective sur plusieurs générations, car nous ne savons pas le sens de l’expérience avant de ne l’avoir vécue. Nous pouvons simplement devenir responsables d’un inconscient dont nous ne savons rien, sauf à l’écouter.

Ecoute du psychanalyste

Le Sujet est toujours déjà là
Françoise DOLTO, Le Corps Psychique, Gérard Guillerault Ed Universitaires

Mon point de vue de psychanalyste est paradoxalement d’écouter le langage inconscient du sujet « préexistant en devenir ». C’est de l’ordre du mystère. Pour le patient ce n’est pas une introspection explicative du moi, ni un développement de la personnalité. Pour le psychanalyste, écouter le sujet en devenir, c’est accepter de ne pas savoir car ce que sera le destin est impossible à cerner, le mot destin rappelle la part d’inconnu dans la vie du patient.

C’est par notre corps que nous vivons, le corps a une histoire, alors que le Sujet n’en a pas. Le Moi a une histoire, c’est pour ça que le Moi et le corps se superposent. Le Sujet n’a pas d’histoire, le Sujet n’a que désir. Désir … ou absence de désir
Françoise DOLTO, Le Corps Psychique, Gérard Guillerault Ed Universitaires

Un désir toujours positif qui s’entend ici comme une aspiration foncière à communiquer.

Ce qui peut être entendu, c’est ce qui ne trouve pas de sens, d’orientation. Ce qui revient au connu, à la répétition. Ce qui empêche la relation.

Tenter d’entendre ce qui fait obstacle au désir, au vivant, au mouvement, là où le langage articulé à d’autres humains a fait défaut; là où le Sujet ne s’incarne pas dans le corps.

La question du désir et la transmission de la parole.

C’est l’écoute des patients qui m’a convaincue d’un désir qui circule, dans l’histoire généalogique, parfois malgré l’histoire, et au delà de l’histoire : le désir du vivant à s’incarner.

Le Sujet est par vocation transgénérationnel
Jean ASSENS, l’Innocence du Sujet, Ed Georg

Dans une famille, parfois ce désir semble buter sur des comportements morbides ou mortifères, peut être faute de parole signifiante sur sexe et mort .

C’est en effet étonnant d’observer l’espace et la clarté qui surviennent quant la parole en vérité se dit et que les épreuves telles qu’elles sont, sont parlées et assumées .

Car il ne s’agit pas tant de comprendre une histoire généalogique qui serait comme extérieure à soi, que de donner sens à sa propre histoire d’humain situé dans sa filiation.

La famille est le lieu de transmission d’une parole qui se transmet de génération en génération en référant chaque homme à l’origine du genre humain tout en le situant à la place qui est la sienne, celui d’un sujet sexué, différencié dans son rapport aux autres selon la loi du langage. Au coeur de cette double référence à l’origine et aux autres, l’interdit de l’inceste et la menace de castration, ordonnent le sujet au désir de l’Autre dans son rapport aux autres. Cette loi se révèle comme ce qui structure le désir de l’homme. Dans la particularité de l’histoire de chacun, elle dit l’universalité de genre humain. Là où la loi n’est pas respectée, tous les types de relation se mélangent.
Denis VASSE, La Vie et les Vivants, Ed Seuil

Exploration de la place généalogique

Du point de vue du patient

L’exploration de la place généalogique, est toujours du point de vue de la personne qui souhaite engager un travail. C’est une mise en « perspective », car l’arbre généalogique ne tiendrai pas debout sans sa vision de l’arbre, d’où l’importance pour le patient de d’abord reconnaître sa place dans l’arbre, de devenir témoin non pas de son histoire généalogique, ce qui supposerait qu’il n’y serait pas et qu’il en serait victime passive, mais devenir témoin de ses propres mécanismes, de la façon dont il sélectionne les éléments, de ses attachements, et de ses réponses.

Le travail porte sur une mise au jour des dynamiques inconscientes de la transmission généalogique telles que le patient les porte à sa place, et de la façon dont il se situe dans sa filiation.

Contacter comment l’enfant a réagi et a son désir propre. En effet un enfant a des désirs tout au long de son évolution, en interaction avec les désirs des parents « sur » lui. Reconnaître les blessures de l’enfant et aussi découvrir parfois celles de ses parents , dans leur place de fils et fille.

Comment s’est vécu la triangulation à chaque génération ?

Qu’est ce qui c’est transmis à la génération suivante des fixations ou distorsions ?

C’est le travail du fils ou de la fille qui reconnaît ceux qui ont présidés à sa conception dans leur union sexuelle, et que sa naissance a initiés aux fonctions maternelle et paternelle.

Entre réalité et fantasmes

Toute approche exclusivement « généalogique » peut comporter plusieurs écueils :

  • le « tout vérité » ou le point de vue objectif: Le risque serait de penser le généalogique et la découverte d’éventuels secretscomme une vérité, une explication, déconnecté d’affects et dont le patient serait exclu.
  • le « tout fantasme » ou le point de vue subjectif. L’autre écueil serait la croyance que l’histoire et des secrets seraient de pures inventions, que tout ne serait que fantasmes, qu’illusions.

Tout l’art de cette approche est de se tenir entre ces deux tendances: de« donner du sens à », c’est à dire de pointer l’existence d’éventuels non-dits, secrets, de questionner des dynamiques de la filiation; plutôt que de penser pouvoir en désigner d’emblée le contenu, en réduisant la transmission à des relation de cause à effet entre événements et symptômes. Cet autre point de vue pourrait être alors une façon de déconsidérer la logique inconsciente (qui nous échappe), et la fonction symbolique inhérente au langage et à l’humain; ( à différencier du symbolisme qui s’intéresse aux liens entre objets et signes).

Différents points de vue dans l’écoute

Différentes grilles d’écoute peuvent se superposer, pour entendre l’histoire singulière d’une famille, et d’un patient :

  • point de vue psychanalytique sur la dynamique oedipienne, la psyché foetale et l’activité mentale originaire
  • point de vue de la psychologie des profondeurs, sur les processus d’individuation
  • point de vue anthropologique
  • points de vue historique, sociologique, culturel
  • etc.…

Malédiction et fantôme

Il est important d’aider le patient à différencier dans les répétitions qui l’interrogent :

  • La malédiction est liée à une parole, à une culpabilité morale, en relation à un ordre social ou culturel, à la rivalité.
  • Le fantôme est une transmission inconsciente autour d’un non-dit sur sexe ou mort, et orientation du désir .

Entre déterminisme et liberté, la question de la responsabilité.

Dés qu’un patient peut reconnaître que ses parents, ses ascendants sont « des autres », alors ses parents et ses origines deviennent des parties de son histoire et non des contenants de cette histoire
Daniel SIBONY, Psychanalyse et Judaïsme - Questions de transmission, Ed Flammarion

La liberté, c’est d’échapper à se vivre objet de sa généalogie, mais non pas de s’échapper de sa place de filiation, ce qui serait un refus d’être traversé par le désir du Sujet dans son accompli et inaccompli. Car nul ne s’origine de lui- même, il n’y a pas de sujet sans altérité, et sans humanité constituée. le propre de l’homme est la transmission de l’humain déjà sous forme d’un entre-deux: celui du couple des parents qui transmet deux histoires étrangement liées ; cela transmet à l’enfant le pouvoir de se lier-délier, de se rattacher à une filière d’entre-deux, de partages réciproques. Ainsi la transmission est une cassure de la loi narcissique qui veut que chacun soit le tout pour lui-même.
Daniel SIBONY, Psychanalyse et Judaïsme - Questions de transmission, Ed Flammarion

L’humanité quant à elle n’est pas héréditaire. Marie BALMARY, Abel ou la traversée de l’Eden, Ed Grasset

Elle s’élabore dans une perpétuelle création,dans une confrontation à la loi symbolique, à chaque génération. Les interdits fondateurs d’humanité y sont au travail: interdit du cannibalisme, du meurtre et de l’inceste, transmis à travers la parole sur la différenciation sexuelle, l’écart entre générations , la conscience de la vie et de la mort.

La loi dit aux humains: suis la loi, sache que tu ne la suivras jamais toute, mais voyons ce que tu feras de ceci qu’elle t’échappe. Le don de la loi est un don de liberté.
Daniel SIBONY, Psychanalyse et Judaïsme - Questions de transmission, Ed Flammarion

En effet, le juste a rapport à la loi, mais le sujet a rapport à l’autre et à lui même par la loi. Accepter de faire face à son humanité, demande de renoncer à une image parfaite, d’idéalisation du Moi. (le sien ou celui de ses ancêtres), et d’accepter de rencontrer son ombre (sans porter celle de sa famille).

La question pour le patient sera de faire face à ses transgressions, à ses contradictions et donc également à accepter de voir celles des parents et ascendants. Reconnaître son ambivalence. La vie est contradictoire, pleine de cassures et d’épreuves. Choisir entre vivant et mortifère. C’est un choix de réorientation, réorientation du désir fixé sur des images anciennes; non pas réparation ou réhabilitation, mais re-connaissance du désir qui nous fonde, transmis et à retransmettre. Devoir de mémoire et de témoignage, et non « purification » des erreurs passées. Pouvoir alors dire "JE" et répondre de ses actes en son nom. S’incarner.

Voir aussi

L'auteur

Andrée HERBIN

Andrée HERBIN

Psychanalyste- psychanalyste transgenerationnelle-

Fondatrice de l'approche de psychanalyse transgénérationnelle Place et Présence ® Accompagne le processus VIVRE LA MUTATION ®- enseignement la voie du monde TEL-VIDEOCONSULTATION