Un article de Noëlle Le Dréau publié le 07 février 2012

L'inceste en quelques chiffres

Selon un sondage IPSOS en 2010,

  • 26 % des Français déclarent connaître au moins une personne victime d’inceste dans leur entourage.
  • 12 % des Français déclarent connaître une (12 %), voire plusieurs personnes (7 %), ayant subi des agressions sexuelles comme des attouchements ou des caresses.
  • 13 % connaissent une (8 %) ou plusieurs personnes (5 %) ayant été victimes de viols.
  • 11 % et 9 % affirment qu’un ou plusieurs membres de leur entourage ont subi des actes d’exhibitionnisme ou fait l’objet de confidences répétées à caractère sexuel.
  • Seules 3 % des personnes interrogées connaissent une ou plusieurs personnes ayant été obligées de poser pour des photographies érotiques ou pornographiques durant leur enfance ou leur adolescence.

L’examen détaillé des réponses révèle que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à déclarer connaître au moins une personne victime d’inceste (32 % des femmes contre 20 % des hommes)

Pactes familiaux inconscients

Lorsque l’enfant parait, quoi de plus naturel à ce qu’il s’adapte à son milieu, réponde à ses normes, à ses exigences explicites et implicites ? L’enjeu est de taille pour lui : survivre, se sentir aimé, protégé, être nourri !

Mais, quels contrats parfois toxiques avons-nous passé avec nos parents pour être aimés d’eux ?

À quels jeux relationnels, à quelles pressions psychologiques volontaires ou non volontaires avons-nous obéi, le plus souvent sans nous en rendre compte, pour correspondre à leurs croyances, leurs modèles, leurs attentes afin d’être aimés d’eux ?

Et nos parents et nos grands-parents ? Quels contrats ont-ils passé avec leurs propres parents, leur fratrie, leurs aînés ? Dans quelles logiques se sont-ils inscrits petits pour faire partie d’un groupe, se sentir appartenir à une famille ? Dans quelles loyautés bénéfiques ? Mais aussi dans quels sillages déroutants ? Dans quels raisonnements, quelles croyances, ou quelles contraintes ont-ils pu vivre, parfois à leur corps défendant ? Se sont-ils enfermés dans des pièges psychologiques sans s’en rendre compte, tissant sans le savoir dans leur descendance autant de positionnements de vie inadéquats, discordants avec la réalité des êtres, certains parfois prisonniers de vieux secrets de famille « déshonorants ». Secrets entretenus par culpabilité, honte, peur des jugements, ou pour préserver une remise en question, un charisme, une notoriété, des séparations.

Ont-ils eux-mêmes créé des secrets et calqué leur comportement conformément aux coutumes de ces siècles derniers, comme par obéissance intrinsèque aux anciens, pulsion de survie, sans besoin d’ouverture, d’interrogations et de liberté psychologique, carence en estime de soi ? Se sont-ils reclus sur des îlots de malhonnêteté familiale encerclés par des tabous désastreux, trompant leurs enfants en les élevant dans le fantasme d’une famille imaginaire élogieuse ou sans taches ou même inexistante, leur inoculant ainsi des bonnes fausses idées préjudiciables pour leur construction psychologique et comportementale ? Et s’ils l’ont fait, l’ont-ils fait par ignorance, ou par difficulté à admettre des réalités désastreuses, ou par loyauté à leurs propres parents, ou pour ne pas risquer de se voir refoulés par une famille fraternelle, voire même des enfants devenus adultes ? Ou par amnésie d’un autre secret ayant sidéré leur mémoire ?

De là, de toute bonne foi ou non, combien de mots redoutables, de phrases assassines, de servitudes engrenées, d’influences distillées, de mots d’ordre et croyances exprimés ou non exprimés, pourtant fulgurants et catastrophiques continuent à manipuler des jeunes et moins jeunes sur leur chemin de vie qui aurait du être rayonnant ? « Tu ne vaux pas grand-chose, t’es pas réussi(e), tu sais les hommes sont tous des…, les femmes sont toutes des…, sois plus ceci, sois moins cela, efface-toi, fais moi plaisir, « on » ne parle pas de ça, souffre en silence, avance sans te retourner sur le passé, fais pas comme…, fais comme…, ne sois pas toi-même, pour ne pas me rendre malade, ou pour ne pas faire de la peine à ton grand-père, la famille est sacrée quoiqu’il arrive… », toute une flopée d’injonctions contraignantes, directes ou souterraines, parfois contradictoires laissant peu de chances à l’enfant de vivre harmonieusement sa vie.

Il en est de plus graves encore, sévissant dans certaines familles même apparemment modèles, où des tournures d’esprit contraignantes, implicites ou explicites, « c’est pour ton bien, ne dis rien… », cachent le délit d’inceste contemporain sur un enfant ou adolescent(e) devenant sourd, aveugle, muet comme les trois singes, le plus souvent en stress post-traumatique, obéissant à son corps et esprit défendant, parfois dissocié de la blessure du viol ou des attouchements, comme si cela se passait « hors de soi », comme si « cela allait de soi » de se soumettre au silence, ne pas trahir son père, sa mère, son grand-père chéri, comme si c’était soi mais en même temps ce n’était pas soi qui vivait cela… jusqu’aux réveils en thérapie, plus tard, où, parfois, l’ex-enfant massacré découvre que l’amour parental fut avant tout une transaction perverse, un marché de dupes et que, ignorant de cela, traumatisé, il s’est abstrait de lui-même.

Loyaux enfants

De générations en générations qu’avons-nous planté comme décors pour, inconsciemment le plus souvent, se fondre dans le noyau familial, être loyaux aux projets parentaux, à des trajets de vie de nos « anciens », dissimuler des injustices, des angoisses, des culpabilités, jusqu’à, ultime douleur, ne pas parler de l’inracontable autour de nous, par peur, par amnésie, par mimétisme… ou par réflexe ancestral de ne pas trahir le sacro-saint esprit de famille… afin de ne pas en être exclu, abandonné, ou… ?

La psychogénéalogie ou analyse transgénérationnelle en général

Elle est une exploration et analyse du système familial, des interactions et interdépendances diverses entre les individus et les générations. Elle éclaire, dans le temps et l’espace, leurs logiques affectives, comportementales, sociales, territoriales, leurs complexités, dysfonctionnements et fonctionnements, leurs pesanteurs tout autant que leurs conséquences individuelles ou collectives.

Parmi ses nombreux bénéfices, cette exploration, procure, à soi, mais aussi à tout groupe familial, social, professionnel sous condition que les personnes adhèrent au projet de changement pour un mieux, un ressenti de compréhension de soi, de libération, d’humanité, de se ressentir enfin être « à sa place », plus apte à prendre son destin en mains, plus compréhensif face à la famille, avec un sens plus aiguisé de la responsabilité individuelle et collective dans les relations de toute nature et pour ce qui concerne les transmissions familiales.

Elle est utilisée en thérapie individuelle, familiale, en développement personnel, en coaching individuel.

L’outil principal de la psychogénéalogie, le génosociogramme, est un schéma panoramique de notre famille, un moyen pertinent pour repérer les systèmes, les effets et répétitions du passé familial dans le présent. Avec des clés de lecture simples, on découvre aisément comment ont été parfois transmis des valeurs ou aspects positifs dans notre famille, mais aussi ce qui peut participer à certains blocages amoureux, affectifs, clivages relationnels (au sein de la famille comme dans le social), comportements déstabilisants, freins d’évolution, accidents de santé, croyances limitantes qui perturbent la vie, génèrent des conflits ou des positionnements individuels ou de groupes allant à l’encontre d’une écologie individuelle et relationnelle harmonieuse.

En dénouant les fils du passé familial jusqu’ici et maintenant, l’étude transgénérationnelle alors, permettant de se positionner et de repositionner les membres de la famille à leur place hiérarchique et affective, fraternelle, amoureuse, sociale, etc. :

  • donne une meilleure compréhension de soi, de nos fonctionnements et de nos choix ;
  • donne une meilleure compréhension dedes contemporains ou décédés de la famille, leurs choix, leurs valeurs, certaines causes d’événements;
  • conforte nos besoins fondamentaux : physiologiques, de sécurité, d’appartenance, d’estime, d’accomplissement (tiré de la pyramide de Maslow qui est une classification hiérarchique des besoins humains);
  • apporte un confort relationnel de soi à soi mais aussi de soi aux autres dans le tissu familial, social et du travail;
  • génère de l’énergie, ainsi que cet espace de liberté nécessaire pour s’émanciper du passé, se définir, se (re)construire, se stabiliser et s’épanouir.

J’insiste personnellement sur les obligations de vérifications pour étayer toute étude psychogénéalogique.

Elle doit s’appuyer sur des preuves généalogiques, les actes ayant valeur d’exégèse; comme des trésors vivants, ils nous entraînent à la découverte de nos empreintes factuelles dans le registre comptable de la mémoire collective familiale.

Qu'apporte l'utilisation de la psychogénéalogie dans le cas d'inceste ?

Lorsque l’on a découvert que l’« ancien » se projette, voire répète dans le présent, lequel se modélise bien involontairement parfois sur les logiques, automatismes et croyances des aïeux (ou aînés), par exemple :

  • mariages entre fratries de deux familles, ou entre cousins d’une même famille, ou avec le meilleur ami d’un frère ou d’une sœur, comme si cette stratégie incestuelle permettait un inceste symbolique,
  • télescopages de générations lorsque la différence d’âge entre deux conjoints est égale à une génération ou plus, faisant que leur descendance se trouve en « porte-à-faux » temporel entre deux générations, et ainsi déportée d’un référentiel clair pour se construire et construire une vie affective,
  • duplications des prénoms entre générations ou enfants des membres d’une même fratrie, comme pour cimenter une famille unie dans du fusionnel et confusionnel, ne permettant pas la différenciation à l’autre indispensable pour se construire et organiser sa vie,
  • stratégie fusionnelle territoriale, en habitant « en famille » sur un même lieu, et empêchant l’individuation de chaque membre de la famille, ce qui, métaphoriquement, entraîne le plus souvent des pénétrations factuelles dans les sphères intimes de chacun, indifféremment, comme si chacun chacune formaient, ensemble et pourtant individuellement, la représentation d ’un « grand corps familial ».

Alors, cette vision panoramique des générations et fratries de la famille soulage, libère du poids de culpabilités et permet d’anticiper les projections possibles du passé (ou du présent !) dans le futur en revisitant les attitudes, comportements, croyances intégrées de la famille et par soi, aidant alors à opérer aussi en soi, un véritable changement.

Repérer les mécanismes relationnels transgénérationnels (toujours contextualisés par rapport à l’environnement familial, structurel, sociétal, géographique), permet donc de:

  • protéger les enfants;
  • aider « l’autre parent » à identifier aussi ses propres croyances et comportements inconscients, à « voir ce qui se passe vraiment dans son environnement, ALERTER » et protéger son enfant;
  • éduquer chacun, parents et jeunes adolescents, familles ou acteurs sociaux;
  • aider à repérer et prévenir sur les conditionnements du passage à l’acte possible de l’inceste;
  • aider les dynamiques relationnelles crues jusqu’alors par les acteurs tout bonnement affectueuses alors qu’elles sont confusionnelles, à s’équilibrer avec des changements constructifs.

Ce travail est un travail à long terme. On n’établit pas un génosociogramme en un jour, ni un mois, sauf si l’on possède déjà un arbre généalogique de trois à quatre générations avec les fratries. Cependant il est immédiatement utile pour favoriser les prises de conscience, prévenir, soulager et, progressivement, conduire à une possible résilience.

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L'auteur

Noëlle Le Dréau

Noëlle Le Dréau

Analyste transgénérationnelle

Auteur du livre « Après l’inceste, comment je me suis reconstruite avec la psychogénéalogie » aux InterEditions Dunod