Un article de Simone Cordier publié le 05 janvier 2019

La manière dont nous racontons notre histoire modèle notre thérapie. La façon dont nous imaginons notre vie détermine la façon dont nous allons continuer à la vivre. Car le fait de se raconter à soi-même ce qui arrive, constitue le genre à travers lequel les évènements deviennent des expériences.

James Hillman, La fiction qui soigne.

Pour James Hillman si Freud est le père de la psychanalyse, sa mère est Mnémosyne, mère des muses et de Clio : l’Histoire. La psychothérapie soigne l’histoire, la mémoire cicatrise en devenant imagination.

Qui était Mnémosyne ?
Dans la mythologie Grecque Mnémosyne, la Titanide racontait à Zeus les victoires des Dieux contre les Titans ; sa mémoire cosmique lui permettait de se souvenir des poèmes et des chansons que lui demandait Zeus. Le culte de Mnémosyne à Olympie consistait en une cure thermale de différentes eaux, des eaux pour la mémoire et des eaux pour l’oubli le Léthé. Clio « célébrer, chanter », leur fille, est la Muse de l'Histoire. Elle a pour mission de chanter le passé des hommes et des cités en glorifiant leurs hauts faits. La tradition juive insiste sur l’importance de la transmission de l’histoire de son peuple aux générations suivantes :

  • Si le 613 commandement de la Torah exige de tout juif qu’il écrive au moins sa biographie (à défaut de recopier la Bible ou d’écrire un livre)
  • Si le soir de Pessah le plus jeune de la famille doit interroger le plus ancien qui doit faire le récit sur la sortie d’Egypte
  • la 1ère question est : « En quoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ? »
  • Puis ensuite : « Pourquoi ne mangeons-nous que du pain azyme ? »
  • « Pourquoi les herbes amères ce soir, alors que nous n'en consommons pas les autres soirs ? »
  • « Pourquoi trempons-nous les herbes deux fois »
  • « Pourquoi mangeons-nous accoudés ? »

Transmettre l’histoire familiale implique un transmetteur et un récepteur qui dans la tradition juive a le devoir de poser des questions s’il veut obtenir des réponses. Si oser interroger sa propre histoire et celle de ses ancêtres constitue le premier pas vers l’intégration de son processus transgénérationnel, obtenir des réponses est parfois difficile. La mémoire des vivants sur les morts n’est pas toujours accessible : elle peut s’avérer interdite voire tabou ; « il vaut mieux ne pas déterrer les vieilles histoires », « Tu fais des histoires pour rien », « Tu sais, chez nous il n’y a pas d’histoires » … Autant de phrases qui bloquent l’accès à l’histoire familiale et sont l’indice de secrets qui tentent de protéger les descendants des blessures de l’arbre. Le mot d’ordre est : « il faut tourner la page d’un livre que tu ne pourras lire mais dont tu devras écrire la suite ». Les traumatismes restent enkystés dans les ressorts dramatiques cassés de l’histoire et les trous de mémoire distillent une sensation d’absurdité : la rupture du motif thématique ne parvient plus à servir la cohésion de l’ensemble du récit.

L’histoire a alors besoin d’être soignée par l’imagination pour se « ré envisager » grâce à une intrigue nourrie par l’imaginaire. Il s’agit de transformer les images pathogènes des traumatismes transgénérationnels, afin de pouvoir se reconnecter à l’ancienne histoire et lui donner du sens et ainsi se « fabriquer » sa propre histoire.

Ecrire son histoire transgénerationnelle permet d’intégrer son processus transgénérationnel. L’institut Généapsy en fait l’objet d’un « mémoire ». Ce travail d’écriture se situe entre « ici et maintenant » et « il était une fois », entre la fiction et la réalité historique. Le récit s’inspire du factuel, du contexte psychosocial de l’époque et des régions étudiées, des événements historiques collectifs et du « roman familial ». L’auteur puise dans la « mémoire sans souvenirs » des récits démodés d’avant sa naissance pour exprimer les traumatismes qu’il n’a pas vécus et qui « hantent » des pans de son Moi. Raconter l’histoire familiale de son « point de vue », tout en respectant « la réalité historique dans son contexte » restaure une dignité familiale : l’imagination confère une distance et nous permet de sortir du tragique de répétition pour accéder au récit de l’épique.

Notre travail d’analyste transgénérationnel consiste à « ravauder » les histoires trouées, à broder de nouveaux motifs, à restaurer des portraits abîmés et relever des mythes effondrés.

L’art de guérir est de guérir par l’art

James Hillman

L'auteur

Simone Cordier

Simone Cordier

Co-directrice l’Ecole Généapsy de Paris