Un article de Thierry BUNAS publié le 27 septembre 2022

En mars 2022, Nicolas Gaillard a publié un livre intitulé "Les illusions de la psychogénéalogie" aux éditions Mardaga avec pour intention de mettre en garde ses lecteurs « sur les aspects contestables voire dangereux de la psychogénéalogie au travers d’une véritable enquête d’autodéfense intellectuelle. ». Au travers de cet article, j'ai souhaité modérer et commenter les propos de l’auteur que j'estime (trop) ironiques et destructeurs.

A la lecture de l’ouvrage de Nicolas Gaillard intitulé « Les illusions de la psychogénéalogie » qui a été édité chez Mardaga en 2022, la charge est posée dès l’introduction. Nicolas Gaillard tient le même discours depuis une dizaine d’année sur ce sujet. Le livre sera non seulement critique mais surtout « destructeur » et l’objet de son feu ironique n’est pas que le courant psychogénéalogique mais l’ensemble de la pensée transgénérationnelle. Dommage! Mais belle opportunité qui nous permet de clarifier le différentiel théorico-pratique existant entre ceux qui se réclament de la psychogénéalogie en faisant du lien entre des situations actuelles et des évènements familiaux passés et ceux qui exercent comme analystes ou psychanalystes transgénérationnels en traitant des dynamiques et transmissions transgénérationnelles sous l’angle de l’inconscient personnel et familial.

L’aspect acceptable du projet (quand même) est qu’il s’effectue au nom de la science et du respect de la souffrance humaine afin qu’elle ne se perde pas sur des chemins de traverse sans finalité. Le filtre de la critique rationaliste et zététique aidant, et j’aime sincèrement le travail d’Henri Broch (développeur de la ZETETIQUE, « l’art du doute »), la psychogénéalogie est ramenée dans ses langes et priée d’être humble d’autant que la créatrice, Anne Ancelin Schutzenberger n’est plus là depuis quatre ans.

Je suis d’accord avec cela parce que les discours, livres, vidéos et articles à connotation (ultra)déterministes donnent une représentation erronée du sujet. Par exemple, cet article sur un site d’information et d’échange destiné à tous les futurs parents et parents de la naissance jusqu’à 11 ans introduit l’idée de « conditionnement ». On trouve également des thérapeutes qui proposent une approche « holistique » déterminisme en association avec le dangereux décodage biologique ou autre fourre-tout new-âge ainsi que des élans cliniques promettant le soin « magique » de pathologies souvent lourdes ne servent pas le domaine transgénérationnel comme cet exemple d’article prétendant soigner un cancer ou autre pathologie lourde ou le magazine « Psychologie » qui reprend l’exemple de « François, le syndrome de Raynaud et l’aïeul décapité à la révolution, soigné par la psychogénéalogie » … Aïe Aïe mes Aïeux

Certes, la quasi première moitié du livre nous ramène aux racines de la psychogénéalogie et détaille ses bases conceptuelles autant que ses outils mais l’auteur devient dogmatique à vouloir trop en faire et mélange à l’envie. L'auteur donne notemment à la psychogénéalogie des racines théoriques qu’elle n’a pas ou range arbitrairement certains sujets pour amplifier l’idée: psychanalyse transgénérationnelle, constellation familiale, métagénéalogie, décodage biologique, méthode Simonton, parapsychologie sont rangés tous ensemble sous le vocable de « périphérie douteuse » voir « new-âgeuse ». Ces dernières « familles thérapeutiques » ne travaillent pas sous le même ciel symbolique, n’ont pas les mêmes racines théoriques, ne se réclament pas du même projet psychothérapeutique et n’ont donc pas les mêmes pratiques. L'auteur étire sa critique, justifiée au regard de certains sites de praticiens, sur quelques postulats irrationnels et non systématiquement prouvables, malgré ce qu’il laisse croire, tel que l’agrégation à nos pratiques de Programmation Neuro Linguistique (PNL), d’Analyse Transactionnelle (AT), de Rebirth et autres psychothérapies ou une certaine psychogénéalogie chrétienne (?) parlant de secte et de la MIVILUDE oubliant un temps que certaines approches et théories naissent dans un contexte historique et culturel proches, que les chercheurs font ainsi avec les connaissances de leur époque (pourtant je sais qu’il est « sachant » de cela) et avec le poids de leurs « fantômes » (dont les impensés), l’artifice lui permet de jeter l’opprobre sur l’ensemble de la recherche en brouillant la carte du territoire dans son ensemble.

Il fait ensuite un focus sur le génosociogramme en montrant l’impertinence à trouver ou expliquer, interpréter ceci et cela à sept ou dix générations…Admettons. Pierre Ramaut souligne d'ailleurs qu' « une interprétation en psychanalyse transgénérationnelle est toujours une hypothèse et non une affirmation. L’attente de l’analysant est qu’un adulte tutélaire, en l’occurrence le praticien, vienne nommer son impensé généalogique. Si cette hypothèse s’avère inadéquate, elle tombera à l’eau pour le peu que le praticien ait bien spécifié le statut d’hypothèse de son interprétation et non de vérité absolue. Cela nous ramène aussi au sentiment de toute puissance thérapeutique des praticiens insuffisamment analysés. » Nicolas Gaillard met en garde contre l’émergence de faux souvenirs induit par le thérapeute. (Voir Elisabeth Loftus même si on a beaucoup avancé en psychotrauma et en neuropsy ces vingt dernières années). Le livre d’E. Loftus étant une compilation d’exemples cliniques triés pour assoir son discours, il a donc peu d’intérêt aujourd’hui même si, à sa sortie et dans le contexte étasunien judiciarisé à outrance, cela pouvait avoir du sens. Il suspecte un raisonnement à rebours systématique (qui néglige le hasard et la précision de l’évènementiel), s’arrête sur ledit « syndrome d’anniversaire » ou « du gisant » montrant mathématiquement, statistiquement, les probabilités de … rien car on ne travaille pas de la façon qui est racontée dans ce livre. Nous ne faisons pas ni tout ça ni comme cela (enfin pour les analystes transgénérationnels), et oui au « rasoir d’Ockham » : le transgénérationnel n’est convoqué que lorsqu’aucune possibilité d’explication (de facteur objectif) n’est présente dans les cycles de vie du sujet: l’ICV (Intégration des Cycles de Vie) est une approche complémentaire très pertinente.

Si certains psychopraticiens en psychogénéalogie peuvent faire des interprétations (traduction de signes, messages, ressentis, génosociogrammes) malheureuses, parfois non discutables, qui donnent un chemin contraint au patient, l’analyste transgénérationnel, lui, émet une hypothèse qui est une proposition sans prise de position quant à la véracité de l’analyse, laissant au patient une question toujours discutable et la liberté de sa propre interprétation. Cela renvoie toujours aux formations des thérapeutes et à leur propre parcours analytique en transgénérationnel. Alors, oui, une partie de la littérature parlant de la psychogénéalogie et quelque fois du transgénérationnel (j’en ai lu de nombreux) laisse croire à la magie de la « chose », montre des méthodes et « rituels » surprenants ou peu abordés (ni abondés) par la pensée scientifique. Dommage encore.

La conclusion du livre pose la psychogénéalogie et ses sœurs et frères (ou lointains cousins voire les « coucous ») du territoire transgénérationnel (généralisation induite) comme de dangereux coupables de pseudoscience, d’ésotérisme et de forges à faux souvenirs. Il montre ici un biais idéologique (on trouve ce qu’on cherche en forçant le trait) là où il cherche à démontrer ces mêmes genres de biais (chez nous) au fil du livre. Le souci d’ailleurs de la pensée un zeste trop scientiste est qu’elle glisse dans des biais cognitifs rapidement au nom de la pensée scientifique. Dans ce livre, on va trouver: de l’effet de cadrage, de la généralisation, de l’illusion de corrélation, des biaise de confirmation, d’autorité, de croyance, d’attribution et l’effet cigogne qu’il reproche tant aux psychogénéalogistes.

Un premier point (je sais que c’est un des biais critique identifié car « en défense ») est de redire que tout ce qui se réclame du transgénérationnel ou de la psychogénéalogie (individus, thérapeutes, courants de pensée ou écoles) n’en est pas forcément puisque aucun cadre officiel ou titre reconnu ne posent les limites de l’exercice comme du discours. Le « blabla » des écoles et de leurs certifications non officielles ne prouvant absolument rien du sérieux ni du contenu de la formation ni de la personne en exercice: le clou est enfoncé. Plusieurs écoles de psychogénéalogie proposent des formations conséquentes. Citons, par exemple, les deux écoles en analyse transgénérationnelle qui font référence actuellement: Le Jardin d’idées et Généapsy. Ailleurs, la psychogénéalogie va être un des modules d’un enseignement de « thérapeute - x » ou être un « bref » apprentissage. On trouve le même souci avec la sexologie, les sexothérapies et sexoanalyses.

Ensuite, dire que l’arbre transgénérationnel de cette famille touffue et de son territoire de pensée montre bien l’existence de courants divers bien distincts et donc de pratiques très différentes voire de cousinages opportunistes qui ne sont que des greffons indigents, des « pièces rapportés » comme on le dit dans certaines familles. Le plus pénible, un « coucou », faux et fou étant le « décodage biologique » de Claude Sabbah piqué sur la « nouvelle médecine » de Rick Geerd Hamer (1980). Moins délirant, poétique, mais à côté est la « Métagénéalogie » d’Alejandro Jodorowsky qui a le mérite d’aborder symboliquement l’arbre transgénérationnel en ressources (système racinaire) et en pesanteurs (partie aérienne). A côté encore sont les « constellations familiales » de Bert Hellinger développées à partir de la Systémie… et tous les « branchés » du développement personnel, de psychologie positive (très culpabilisante pour le patient qui n’y arrive pas…), du coaching de vie, de l’énergétique frelaté, de la communication facilitée avec la psychophanie (la psychophanie, c’est entrer en communication avec soi, en contact avec sa mémoire profonde ou son inconscient familial; ce n’est ni du spiritisme ni du « channel » ou une communication médiumnique) de celle avec l’« arrière-monde », de la spiritualité avec les relents new-âge des années 90 quand ce n'est pas une référence délirante et inculte à la physique quantique (en associant quantique, décodage biologique et psychogénéalogie ou bien celui-là avec du [« transfert quantique »] (https://transfert-quantique.com/formation-praticien-en-transfert-quantique/) ou à une « psychologie » quantique (thérapie quantique).

Tant que cela est ludique entre gens qui vont bien et veulent aller mieux, ça ne me pose pas de problème: chacun joue avec ses jouets conceptuels, ses croyances et ses fantasmes. Ce qui est navrant et alertant c’est, j’en conviens et je rejoins Nicolas Gaillard ici, quand le délire prend en charge des personnes en réelles souffrances psychologique, physiologique ou physique. On ne soigne pas un cancer avec un génogramme!

J’ai moi-même créé un néologisme en associant les deux territoires sur lesquels j’interviens, le transgénérationnel et la sexologie avec la « sexoanalyse transgénérationnelle ». Et après ? Est-ce une amorce de nouvelle science ? Bah non ! C’est associer deux champs de recherche, de questionnement permanent et de pratique clinique. Pierre Ramaut a fait de même avec Commemoria en associant le transgénérationnel et le multimédia car il est utile en sexo comme en thérapie de couple que les personnes identifient d’où elles émergent et pour les couples, ce qu’elles vont partager ou opposer.

Anne Ancelin-Schützenberger, en son temps, a parlé de nouvelle science avec la psychogénéalogie. Bien venue hier (dans la pensée de l’époque), erreur aujourd’hui (avec ce qu’on attend de la pensée scientifique en 2022). Ensuite, comme avec la psychanalyse, la psychogénéalogie tend le dos et donne la verge en ne se prêtant pas à l’enquête scientifique, à l’étude, à la validation des outils, des pratiques et des résultats et c’est bien triste. Si, pour Maureen Boigen, la psychogénéalogie n’a justement pas besoin de validité scientifique car « tout ce qui touche au psychique ne peut pas être scientifique. On ne cherche pas de reconnaissance de la part de la science », pour moi elle a besoin !

Nicolas Gaillard a raison de dire que toute la littérature (qu’il a trouvé, Josephine Rohrs Hilgard incluse, avec ses « réactions d’anniversaire » qui n’expliquent rien ni ne justifient de laborieuses recherches et interprétations trop « faciles ») sur le sujet raconte, disserte, abonde en exemples, en histoires de vie, en thérapies réussies et arbres de vie mais ne s’appuie sur aucune étude scientifique ni production au sein des revues scientifiques, on reste dans un entre-soi confortable. Je trouve cela encore une fois dommage et ce n’est pas parce que nous sommes dans le champ des sciences humaines et de la « psy » ou autre thérapie que cela ne doit pas être étudiable. Il y a deux angles que l’auteur n’a pas fouillés: la production (récente) des recherches et études sur les transmissions transgénérationnelles (plusieurs dizaines d’entrées dans les revues scientifiques francophones) et l’état de la nouvelle science épigénétique qui commence à en dire long sur lesdites transmissions jusqu’à trois voire quatre générations dans le cadre de traumatismes. (Etayage ou voie complémentaire de la théorie de Didier Dumas sur la transmission des fantômes.

J’ai moi-même planché en milieu universitaire (et je ne suis pas le seul) sur les transmissions transgénérationnelles comme facteur aggravant des violences sexuelles intrafamiliales. Je peux donc dire à Nicolas qu'on y bosse mais il faut vérifier si ce qu’on travaille en cabinet a du sens. Il y a donc un manque certain de travaux sur les transmissions intergénérationnelles (horizontales) et transgénérationnelles (verticales) qui ont justement (dans le médico-social tout particulièrement, univers que Nicolas Gaillard semble connaître) un impact puissant dans la fréquence de répétitions et dans l’aggravation des vulnérabilités intrafamiliales, les familles dysfonctionnelles particulièrement et pour cause.

Je vous propose dès lors un petit rappel (non exhaustif et réalisé sur base de cet article) pour restituer les familles œuvrant dans un territoire transgénérationnel formalisé (car on peut toujours spéculer sur des sources plus anciennes): psychanalyse et (psych)analyse transgénérationnelle, analyse systémique et thérapie familiale, psychogénéalogie. Fin du XIXe siècle, Sigmund Freud esquisse le principe de transmission entre inconscients. Après lui, dans les trois premières décennies du XXe, Carl Gustav Jung qui postule quatre à cinq inconscients dont le familial et Sandor Ferenczi, qui analyse la dynamique du trauma, des conflits non résolus, non surmontés dans les systèmes familiaux vont alimenter la pensée de [Françoise Dolto](/dictionnaire/Dolto qui postule trois générations à convoquer pour comprendre ce qui se passe à la quatrième, de Nicolas Abraham et Maria Torok qui sont les concepteurs de la crypte en soi et du « fantôme » dans les années 70 et puis de Didier Dumas générant l’approche de la psychanalyse transgénérationnelle, dans les années 80, qui consiste à accompagner, analyser l’histoire du sujet dans la globalité de l’histoire de ses lignées sur trois à quatre générations et d’identifier les ressources et vulnérabilité autant que les cheminements des flux traumatiques. Ce courant se scinde en deux: les psychanalystes transgénérationnels et les analystes transgénérationnels veulent s’écarter de la psychanalyse traditionnelle entachée de quelques mensonges du siècle dernier (œdipe, castration, sexualité infantile, fantasme de l’enfant, traumatisme incestueux de l’enfant Freud, ésotérisme lacanien) en précisant que l’« ange » de Didier Dumas qui fait face au fantôme familial n’a rien à faire avec la religiosité ou une « spiritualité » ésotérique. Quant au positionnement autour de l’autisme, je laisse le soin à mes pairs concernés d’ouvrir ce débat qui est trop compliqué pour moi. Dans les années 60, Grégory Bateson, Jacob Levy Moréno, l’institut Palo-Alto et le MRI développe l’approche systémique et la thérapie familiale dont l’outil principal est le génogramme de la famille nucléaire anglosaxonne (aussi les sociogramme, psychodrame et hypnose ericksonienne). Anne Ancelin-Schützenberger s’est abreuvée, nourrie de ces deux approches (systémie et psychanalyse) pour créer la psychogénéalogie dans les années 70 et développer le génosociogramme, outil plus ambitieux et complexe que le génogramme. Avec le temps et d’autres postulats, ces approches ou courants (ce ne sont pas des sciences) se sont bien évidemment appropriés les travaux de Yvan Boszormenyi-Naguy avec les loyautés ou dettes familiales, de Serge Lebovici avec les mandats transgénérationnels, de Serge Tisseron avec les secrets de famille, de Claude Nachin avec la pathologie du deuil, d'Alberto Eigueur avec l’objet transgénérationnel, de Vincent de Gaulejac avec les névroses de classe. L’ethnopsychiatrie (Georges Devereux – Tobie Nathan), l’anthropologie, la sociologie des structures familiales (Emmanuel Todd) et l’éthologie humaine amènent d’autres représentations, d’autres cultures dans l’histoire où l’on voit le chamanisme et la médecine chinoise venir participer aux « soins » transgénérationnels parce que cela a du sens dans leur corpus respectifs tout comme d’autres outils plus éprouvés des TCC comme l’hypnose ou l’EMDR viennent nous aider à traiter la représentation présente (et les croyances) que le sujet a, des transmissions subies et de l’expression qu’il en fait dans son vécu parce qu’il s’agit de comprendre la circulation ou le blocage de l’information dans les dynamiques familiales, qui s’expriment (flux traumatiques) dans des répétitions de troubles « similaires », pas de chercher et pointer du doigt une causalité et laisser le sujet avec son paquet cadeau.

J’aime bien dire qu'on se fiche de l’aïeul(le) et son trauma étant donné qu’il n’est plus là depuis quelques années ou dizaines d’années mais que l’écho du traumatisme est répété surtout quand rien n’est dit. Il participe ainsi à la construction de l’être, à son chaos intérieur qu’une analyse transgénérationnelle peut aider à clarifier, réunifier. Jung nommait cela l’individuation. Les anciens ont souvent bon dos quand ils sont figés dans leur malheur alors qu’ils sont aussi des ressources dynamiques pour construire l’avenir (qui n’existe pas encore). Enfin, cette science très récente qu’est l’épigénétique nous éclaire sur les transmissions transgénérationnelles cette fois « biologiques ». L’information traumatique (environnementale, psychologique, physique) est transmise sous forme de facteurs ou marqueurs qui activent ou répriment des gènes ou groupes de gènes. Tous les mécanismes de transmission ne sont pas encore connus mais la grande question est pourquoi certaines séquences d’information sont réfractaires à l’effacement ou à la reprogrammation ? Il ne faut pas prendre le terme effacement au sens de disparition car rien ne disparaît mais plutôt dans le sens de changement d’état, d’expression, au point de perdre la trace de l’expression originelle. Jusqu’à combien de génération l’information est-elle dupliquée sachant que suivant les modèles actuels, il est observé trois à quatre générations chez les mammifères ? Le point important étant l’idée de réversibilité et donc de non-déterminisme. En effet, accepter, intégrer et ranger l’information reçue transgénérationnellement initialement vulnérabilisante ou traumatogène redonne du souffle et de la liberté. On pourrait en effet imaginer qu’être le dépositaire du mandat transgénérationnel est un déterminisme épouvantable alors que plus le mandataire va accepter son mandat et plus il va nourrir son processus d'individuation.

En conclusion, je crois que la critique apportée par ce livre n’est pas sans fondement et que nombreux sont mes pairs qui ont manqué ou manquent encore de prudence et de discernement dans leurs discours et leurs écrits. L’emballement est fréquent en découvrant un nouveau territoire ou en voulant le critiquer surtout quand on n'a que la carte (théories). Néanmoins, le tort de l’ouvrage est de généraliser et de rapprocher des familles trop différentes pour croire qu’elles marchent dans le même sens. Je ne me retrouve pas dans cette représentation psychogénéalogique. D’ailleurs, je me suis rendu compte que dans mon ouvrage sur la Sexoanalyse Transgénérationnelle, sur l’arbre « familial », je n’avais pas (re)présenté la psychogénéalogie ni Anne Ancelin-Schützenberger. Oubli étonnant que je découvre aujourd’hui, pour le coup non-conscient ou bien l’effet d’une précaution naturelle parce que justement le transgénérationnel est autre, la psychogénéalogie n’est pas ma famille. La causalité ne m’intéresse pas outre mesure et je préfère comprendre et explorer les dynamiques familiales et encore plus me pencher sur ce qu’en fait le sujet souffrant dans son vécu.

L'auteur

Thierry BUNAS

Thierry BUNAS

Analyste Transgénérationnel - Sexologue

Clinicien : Certification en psychosomatothérapies/sexothérapies, diplôme de sexologue universitaire, certification en analyse transgénérationnelle/arbre transgénérationnel, diplôme sur les violences sexuelles & EMDR, Auteur : 2018 roman transgénérationnel "En remontant le fleuve", 2020 essai "Le petit traité de sexoanalyse transgénérationnelle" et un second essai sur les personnes Transgenres automne 2021. Formateur : secteur pro du médicosocial. Marié avec 5 enfants

Commentaires

 
Commentaire de Françoise Arnold

Publié le 29 septembre 2022

Je suis thérapeute transgénérationnelle et j’ai accueilli ce livre avec beaucoup d’intérêt, en dépit de son titre qui annonce un propos « à charge ». Habituellement, les médias dominants ne nous font pas tant d’honneur, ils ne nous réservent que mépris ou ironie, vite expédiés de toute façon. Ce livre est pour sa part publié chez un éditeur de qualité et son auteur semble avoir pris la peine de se pencher sur la question, avec le projet, annonce-t-il, d’interroger avec méthode le fondement scientifique de la psychogénéalogie. Dès lors, je suis curieuse de voir ce qui a pu le conduire à une conclusion si négative.

L’auteur est manifestement documenté, même si sa référence centrale et un peu omniprésente reste le travail de Anne Ancelin Schüzengerger, l’auteure de Aïe mes aïeux, paru en 1988 tout de même, et vendu à plus d’un million d’exemplaires. Pourtant, si l’on consulte les sites des professionnels, on se rendra compte que la référence à cette dame, décédée en 2018, est peu fréquente même si elle est très connue. Elle a surtout œuvré dans le domaine du psychodrame et considéré la psychogénéalogie comme un outil plutôt que comme une discipline à part entière. Elle n’est pas la « découvreuse » de l’impact des ancêtres sur nos vies mais je crois qu’elle est la première à avoir intégré cette dimension dans un travail thérapeutique. C’était il y a plus de quarante ans. Avec ses génogrammes et ses génosociogrammes, qui désignent un arbre généalogique annoté, elle a proposé un outil de travail visuel et global; il n’en reste pas moins très centré sur la psychologie et en quarante ans de retour clinique, l’approche des thérapeutes transgénérationnels s’est étoffée. Je dirai qu’elle fait aujourd’hui figure d’archives, détentrice de l’appellation psychogénéalogie qu’elle semblait défendre un peu jalousement.

Quoi qu’il en soit, l’auteur du livre propose plusieurs entrées pour donner à comprendre ce qu’est la psychogénéalogie. Si je reprends ses mots: l’existence d’un lien transgénérationnel qui transmet des informations de génération en génération; le rôle du secret dans la pratique; l’importance d’un concept que l’on nomme syndrôme anniversaire et qui traite de l’existence de répétitions d’évènements dans les arbres généalogiques; l’utilisation du principe de synchronicité comme base de travail – c’est-à-dire, c’est moi qui l’ajoute, la présence du hasard dans la « cure »; l’importance du principe de causalité: tout a une cause, qui correspond à un acte précis de nos ancêtres, c’est-à-dire que la question de la cause du fantôme devient: à quoi sert le symptôme ?

Tout cela n’est pas mal vu, même s’il y aurait, comme toujours, matière à discussion et précisions; cela ne présente pas un ensemble cohérent, mais à ce stade du livre, c’est acceptable. Pour ma part, lorsque je dois résumer les principes qui sous-tendent le travail à une personne que je reçois pour la première fois, je le formule ainsi: "Tout ce qui nous perturbe ou nous limite ne provient pas de ce qui a pu mal se passer dans la petite enfance". Nous sommes aussi perturbés par ce que l’on appelle des fantômes énergétiques qui sont des émotions que nos ancêtres n’ont pas réussi à digérer. Il s’agit de bien identifier les perturbations pour pouvoir remonter à la source de l’évènement qui a créé le trauma et le désactiver. La notion de trauma est donc essentielle quand on travaille dans le transgénérationnel ce qui n’empêche pas évidemment qu’il y ait également des ressources, positives, dans les familles, mais, de l’un comme de l’autre, il ne sera jamais question dans le livre.

Nicolas Gaillard vient du milieu des travailleurs sociaux, mais surtout il a cofondé le collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique et sciences (CORTECS) qui vise à promouvoir l’enseignement et la diffusion de la pensée critique et de l’autodéfense intellectuelle. Personnellement, je ne peux que souscrire à cette démarche – apprendre à repérer et déconstruire intellectuellement les fake news, par exemple – même si sur leur site apparait une certaine appétence à attaquer les médecines douces sur la base d’un très petit nombre de témoignages. La notion de pseudo-médecine est en tout cas très présente. L’équipe est constituée de 7 trentenaires ou jeunes quadragénaires venus des sciences politiques, de la physique, des mathématiques auxquels s’ajoute une psychologue cognitive; il est aussi question de 11 anciens membres ayant à peu près le même profil et de stagiaires. La structure est domiciliée à la bibliothèque de l’université de Grenoble, ce qui n’en fait pas un laboratoire scientifique pour autant. En voyant cela, je me dis que les attaques que subissent les médecines douces depuis un moment – j’ai personnellement eu droit à une caméra cachée pour une diffusion dans une émission sur une chaîne nationale – proviennent tous du même profil de groupuscule.

Nicolas Gaillard, qui fait figure d’atypique dans ce tableau et figure parmi les anciens membres, propose deux angles d’appréciation de la valeur scientifique de la psychogénéalogie: les références théoriques et le niveau de preuves. Pour ce qui est des références théoriques, la structure de son texte est curieuse: toutes les figures tutélaires qui traversent le monde du transgénérationnel, hormis celle de Ferenczi, le disciple de Freud, s’y retrouvent mais dispersées. Un chapitre leur est explicitement consacré. On y trouve les principales, essentiellement des psychanalystes, mais sans les présenter ni situer leur apport à la réflexion; d’autres sont regroupées en catégories à l’intitulé dénigrant (new age, douteuse); d’autres encore sont présents par une citation négative, comme Serge Tisseron, associé à une phrase extraite d’un article de presse: il y récuserait le syndrôme anniversaire au titre du risque de souvenirs induits. On le sait, repartir d’un article de presse est toujours risqué, le journaliste peut avoir mal interprété, mais peut-être après tout Serge Tisseron a-t-il bel et bien dit cela, et peut-être était-ce dans un contexte. Certaines de ces figures de référence sont quant à elles absentes de ce chapitre mais présentes ailleurs – avec d’autres personnalités de premier plan qui n’ont pas grand-chose à voir avec le trangénérationnel (Freud, Lacan, …). Les constellations familiales, le décodage biologique et d’autres approches sont également mentionnées dans les références théoriques alors que ce sont des outils. Tout ceci ne constitue pas une approche scientifique rigoureuse, et cela ne permet pas non plus à tout un chacun de se forger une opinion personnelle.

Un chapitre est ensuite consacré au niveau de preuve. L’argumentaire principal de Nicolas Gaillard est qu’il n’existe pas de publications scientifiques, c’est-à-dire de comptes-rendus de recherches et d’expérimentation, éditées par des revues qui fondent leur légitimité sur leur rigueur et validées par un comité de lecture. Nicolas Gaillard conclut que la psychogénéalogie simplifie trop les concepts et que c’est un agrégat théorique, pas solide et dévoyé. Cela fait écho pour moi aux accusations dont ont témoigné en leur temps des gens comme l’anthropologue Françoise Héritier ou le psychologue ethnopsychiatre Hamid Salmi, dont le champ n’est à vrai dire pas très éloigné du nôtre. Françoise Héritier parlait de la démarche tâtonnante de la recherche en train de se faire, avec ses hypothèses, ses approximations, ses impasses. C’est vrai, la vérité clé en main, cela n’existe pas.

Des psychanalystes ont ouvert la voie dans les années 1970 en pointant l’existence d’émotions fantômes, de la même manière que l’on parle de membres fantômes, et une pratique s’est mise en place, qui se structure depuis une quinzaine d’années dans des modules de formation privés à visée professionnalisante et non théorique. Ces formations privées ne sont pas reconnues par l’État et la psychogénéalogie n’est pas enseignée à l’université, ce qui ne permet pas de générer des chercheurs. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du monde que le nouveau part d’un constat clinique, ce serait même plutôt la règle. Je trouve dès lors que c’est faire un mauvais procès à la psychogénéalogie que de lui reprocher l’absence de chercheur universitaire. Le seul domaine scientifique qui, à ma connaissance, travaille sur le transgénérationnel est celui des généticiens avec la branche de l’épigénétique. Ils sont bien sûr très prudents mais identifient bien la présence de symptômes de traumas sur des personnes ne les ayant pas vécus mais qui ont en revanche été vécus par leurs ascendants, comme des épisodes de famine. Nicolas Gaillard cite une fois l’épigénétique sans expliciter: il dit simplement qu’il y a un espoir, ce qui est une formulation curieuse. Comme toutes les attaques contre le transgénérationnel, son propos ne porte pas sur le fond de la question: est-ce que cela fait disparaitre les symptômes qui encombrent les personnes que nous recevons, c’est-à-dire, est-ce que ça marche ?. Il l’évacue en disant qu’on peut en avoir l’impression mais que, si amélioration il y a, on ne peut pas savoir à quoi c’est dû. Certes. Cependant, cela ne démontre pas pour autant l’inefficacité de la pratique.

Il va conclure son ouvrage sur ce qui, selon lui, constitue l’apport – il dit le succès – de la psychogénéalogie: la qualité de l’écoute des thérapeutes, qui pallie les carences du monde médical; le fait qu’elle réponde au « pourquoi » quand le monde médical ne répond qu’au « comment » ; le plaisir de la dimension épique d’une saga familiale, le besoin de racine, la dimension dynamique de l’approche. Ce n’est pas si mal, on pourrait même dire que c’est beaucoup.

Son texte ménage également une place importante au hasard, qui est, dit-il, central en psychogénéalogie puisque ses concepts reposent presque entièrement sur son absence. Nicolas Gaillard se focalise sur les répétitions dans les arbres généalogiques, qui frappent tellement le grand public et qui sont une indication pour les thérapeutes. À peu près tous les arbres en comportent et l’existence de répétition est moins extraordinaire qu’il n’y parait, comme il l’expose justement. Il suffit de calculer la probabilité à partir de la paire (une date commune à deux évènements) et de considérer les liens possibles. Cependant, il ne tient pas compte que, ce qui compte en travaillant dans les arbres, c’est que cette paire-là fasse sens pour la personne et parfois c’est très clair. Pour des cerveaux rationnels, c’est le hasard, mais Jung a justement témoigné que la présence du hasard, qu’il appelle synchronicité, pouvait débloquer des cures qui semblaient bloquées. L’histoire du scarabée est célèbre: au moment même où une personne parlait de scarabée, un scarabée est apparu à la fenêtre. La probabilité était faible, elle a eu lieu, ce qui est bien normal puisqu’elle était possible. Ce qui compte, c’est l’effet qu’a produit l’irrationnalité sur la personne. Au plus simple, on pourrait résumer l’importance des répétitions de date ainsi.

Sans aller plus loin, de toutes façons, le phénomène des répétitions est en soi un signifiant dans le domaine du psychisme et des traumas. L’auteur avait auparavant cité Freud dans Totem et tabous: un souvenir refoulé s’exprime et se répète à travers des actes tant qu’il n’est pas résolu. Je citerai pour ma part Pierre Janet qui, comme Freud, travailla aussi avec Charcot à la Salpétrière sur les hystériques: Si un homme ne se souvient pas, il répète sans savoir qu’il répète et à la fin nous comprenons que c’est sa façon de se souvenir… La répétition correspond à des tentatives d’appropriation, de symbolisation de la mémoire biographique, de la tentative de transformation en mémoire biographique, même si elle signe en même temps son échec. Dans l’approche transgénérationnelle, ce qui vaut à l’échelle d’une existence, pour une personne, vaut pour les arbres généalogiques puisque nous travaillons sur l’hypothèse que la mémoire des traumas se transmet d’inconscient à inconscient. Des scènes peuvent se répéter littéralement à des générations de distance.

Son travail pourrait dès lors ne simplement témoigner que de l’incapacité du cerveau droit à admettre l’existence d’un cerveau gauche quand bien même nombre de scientifiques de haut niveau ont pu témoigner de l’importance du hasard ou de l’intuition à l’origine de nombre de découvertes mais il glisse insidieusement de petits mots, petites phrases lapidaires, dont on sait qu’elles jouent un rôle considérable dans la formation d’une opinion. Il me semble dès lors intéressant de pouvoir apporter un éclairage à ses propos.

A la page 21, on peut lire si les secrets de famille s’étiolent et perdent de leur force avec le temps, le travail transgénérationnel vient leur redonner une fabuleuse vivacité. Le bon sens n’est pas exclu du domaine du transgénérationnel… Si tout allait de mieux en mieux, pourquoi consulterait-on un thérapeute ? Les gens ne sont pas idiots. A la page 25, il emploie les termes de malédiction et prophétie. Malédiction est un terme venu de la sphère de la magie noire et prophétie de la sphère des enseignements spirituels. Vous ne trouverez jamais ces termes dans les ouvrages ou les sites de thérapeutes. La psychogénéalogie ne travaille pas dans ces domaines-là. Un peu plus loin, la psychogénéalogie inscrit les sources de traumatisme dans le champ de la sexualité. C’est faux, les sources de traumatisme sont multiples. Il avance la notion d’inceste généalogique, pas réel mais symbolique. Fondamentalement, nous ne travaillons pas avec le symbolique mais avec l’énergétique. Lorsque l’inceste (ou les abus sexuels) apparaissent dans un arbre, et c’est fréquent, nous nous interrogeons sur la manière dont cela a pu impacter le consultant. La notion de climat incestuel est une forme d’impact, tout comme la répétition; mais la personne peut aussi ne pas être concernée par cet héritage. Bien sûr, a contrario, il y a les cas questionnant d’une personne qui en accuse une autre de l’avoir incestée, et celle-ci s’en défend avec une apparente bonne foi. Le fantôme transgénérationnel pourrait être une hypothèse et peut-être est-ce ce que Nicolas Gaillard entend par inceste généalogique. Le thème est en tout cas trop sensible pour être abordé rapidement dans ces lignes ou ailleurs.

La question de la justice est centrale: on paiera pour ses ancêtres s’il y a échappé. L’arbre généalogique est en effet un système d’équilibre, et la question de la justice est très présente tout comme dans notre quotidien, c’est ce qui nous permet de faire société. Mais la « faute d’un ancêtre », pour reprendre le titre du livre de Nina Canault, aussi connu que celui d’Anne Ancelin Schüzenberger, se manifeste sous des formes plus complexes que : il paiera. Souvent, le travail sur l’arbre consiste à explorer un récit familial qui s’est employé à dissimuler la faute ou bien à mesurer l’impact des injustices subies par ses ancêtres sur le présent de la personne qui consulte et à mettre en place des réparations symboliques.

Un grand nombre d’arguments sont comme jetés en vrac. Ils relèvent tous finalement de la peur de la prise de pouvoir sur autrui, contre quoi lutte leur association. On y trouve: risques de dérives sectaires, abandons de soins médicaux, manipulation, pratique divinatoire, rupture avec la famille ou au contraire attitude inquisitrice. C’est vrai, les abus de pouvoir existent, dans tous les domaines des activités humaines, et les thérapeutes, transgénérationnels ou non, n’échappent pas à la règle. Le rapport du thérapeute au pouvoir – et à l’autorité, son corollaire - est même selon moi le premier critère à prendre en compte dans le choix de s’engager dans un travail qui est aussi une relation. Cela ne vaut pas la peine pour autant de disqualifier par des techniques manipulatoires une mouvance.

Anne-Ancelin, citée au premier chapitre, appelait à distinguer les bons thérapeutes des imposteurs et Nicolas Gaillard fait observer qu’il est difficile de faire la distinction entre une bonne et une mauvaise pratique. Il ne souscrit pas à la solution consistant à être vigilant sur les formations et du point de vue des praticiens. Les psychogénéalogistes, selon lui, ne constituent pas un groupe homogène qui pourrait statuer sur des critères de qualité, de même qu’un titre de médecin psychiatre ou de psychologue ne protège pas des dérapages, d’où l’importance du travail que mène son association… Les thérapeutes qui travaillent sur ou avec le transgénérationnel n’avons jamais l’occasion d’échanger entre nous mais nous avons tous été formé de manière identifiée et je me demande si, au contraire, notre « mouvance » n’est pas plutôt très homogène.